Aurion, Legacy of the Kori-Odan
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Aurion, Legacy of the Kori-Odan
Voici l'histoire d'un nouveau monde !
Aurion : l'héritage des Kori-Odan est le premier jeu édité par un studio d'Afrique Centrale. Pionnier d'une région géographique jusque-là ignorée des joueurs, il mérite déjà toute notre attention. Mieux encore, il ne s'agit pas de l'énième copie d'un modèle immédiatement séduisant, qui lui assurerait une bonne visibilité commerciale, contrairement à ce que ses vagues airs de Tales of pourraient laisser penser. Le studio Kiro'o a pris le risque d'adopter le genre le plus élitiste, mais aussi le plus propre à apporter une dimension artistique et intellectuelle singulière : un RPG. Linéaire comme aux plus belles heures du Japon, bavard comme le tréfonds des années 1990 et 2000. Reste à savoir si ce jeu ne vaut que par sa dimension historique, ou s'il présente vraiment des qualités qui pourront fonder une réputation durable.
Intrigue à Zama
Vous me pardonnerez la difficulté à retranscrire, avec précision, les noms des personnages, des lieux ou des attaques. Je ferai davantage usage de périphrases, tant les termes, sans doute inspirés du bassa (une des langues bantoues parlées au Cameroun) sonneront étonnamment aux oreilles des non-initiés. On se souviendra cependant que le héros, Enzo, est présenté dans son village, Zama, le jour de son mariage avec la belle Erine. Tandis que le père de cette dernière s'offusque d'assister à un baiser public donné par sa fille, le frère d'Erine revient à la tribu, la ravage et s'empare du pouvoir, prétextant que le nouveau roi est bien faible pour faire face au monde extérieur.
Voilà le point de départ d'une aventure qui va mener Enzo et Erine, les deux personnages jouables (ou plutôt, le personnage jouable et son inégalable épouse, qui lui sert en tous points de soutien), à travers tous les continents du monde. Et si ce point de départ est à la fois classique et efficace, notons qu'il ne sera que le fil rouge permettant de découvrir de beaux pays, mais aussi des personnages, leurs morales et leurs intérêts. Le tout, dans une épopée qui fait de la politique la conséquence inévitable de difficultés cosmogoniques, laissées depuis des siècles en suspens.
Sujet n°2 : "L'Art et la technique" (vous avez vingt heures)
Tandis que les derniers blockbusters fascinent les rétines en accumulant les centaines de P, les H, les D, et multiplient les K, quiconque cherchera à être immédiatement renversé par la prestation technique d'Aurion devra passer son chemin. En revanche, quiconque saura se satisfaire de la variété de tableaux en 2D fine, de musiques réussies et d'une écriture parfois surprenante (toujours intelligente) pourra s'attarder un peu sur l'histoire du couple royal.
En dehors de la 2D, qui sera laissée à l'appréciation de chacun, on relèvera que le principal souci technique est celui de l'animation. Il manque, peut-être, quelques étapes pour que les personnages se déplacent et se balancent avec autant de finesse que le graphisme puisse le laisser supposer. Les personnages sont plus beaux que gracieux. De même, la carte du monde, quoique résolument et volontairement minimaliste, laisse quelques regrets. En revanche, on s'attardera assez peu sur le nombre, en apparence réduit, de musiques : le jeu n'est pas extrêmement long et elles trouvent correctement leur place au fil de l'aventure.
Notons également que certains problèmes demeurent, touchant aux collisions, lorsqu'il s'agit de parler à un PNJ, ou encore de s'emparer d'un trésor, cachés dans des "caloos". Mais aussi dans l'orthographe française, qui présente quelques errances.
Géographie et profondeur de l'inspiration
Il est sans doute enivrant de faire le tour de monde, et nul doute que c'est cette sensation de découvrir un monde entier qui a fasciné tant de joueurs de RPG. Dans Aurion, c'est l'inspiration, elle-même, qui est un monde entier. C'est comme si les règles du RPG et de la Fantasy (érigées par les pionniers comme Tolkien ou Lewis, avant un passage appuyé par le Japon, avec Final Fantasy et ses sbires) avaient fait le tour du monde, pour nous revenir sous des couleurs et des accents particuliers.
L'exploration, alternant entre des villages riches en PNJ, une carte faisant office de plan (sur laquelle les combats restent soumis au bon vouloir du joueur), et des donjons (où les combats sont visibles, où les énigmes et les grimpées sont monnaie courante) est calquée sur le modèle japonais, de même que les combats.
Au cours de ces derniers (qui se déroulent sur un seul plan, mais qui prennent parfois de la hauteur), le joueur contrôle seulement Enzo (Erine et certains PNJ servant de soutien, grâce à des commandes associées à leurs compétences) dans une perspective qui rappelle vaguement les premiers épisodes de Tales of. Enzo dispose d'une barre de HP, d'une barre de MP et d'une barre de résistance. Et des coups spéciaux qui vont avec. L'originalité (complètement intégrée au scénario) s'incarne dans les Aurions. Ceux-ci sont, en quelque sorte, des états transcendants qu'Enzo peut activer pour devenir plus puissant et pour avoir accès à de nouvelles capacités (avec une super-super capacité venant couronner le tout, pour peu que le joueur ait pris le temps de charger la machine). Ces Aurions (comme nous le verrons dans le paragraphe suivant) sont associés à un sentiment précis, et à un ancêtre précis.
Le jeu n'est pas extrêmement difficile (en tout cas en mode « normal ») et les niveaux augmentent assez vite. Certains combats sont parfois longs et demandent un peu de dextérité : assez pour avoir envie, soi-même, de réveiller les quatre piliers de l'âme et les Aurions qui vont avec.
Médiations africaines
Là où Aurion fait cependant très fort (et sans doute même beaucoup plus fort que la plupart des autres RPG, y compris nombre de grandes productions japonaises), c'est qu'il s'agit d'un jeu à la fois profondément intelligent, cultivé et inspiré. Je pèse mes mots. Là où les jeux vidéo sont en règle générale une rêverie plus ou moins systématique, vaguement philosophique dans le cas des RPG japonais, Aurion semble, au contraire, être le support utilisé par ses développeurs pour transmettre des idées, des beautés et une vision entière du monde (ce que le RPG japonais n'a jamais réellement atteint, la faute à une projection quasi-systématique dans des univers essentiellement fantaisistes). En effet, quoique donnant naissance à des personnages imaginaires et à un pays imaginaire, le jeu surprend très rapidement le joueur en le mettant face à des problèmes géopolitiques actuels et abordés de front : trouver des papiers pour entrer dans une riche cité, devoir travailler dans des mines comme esclave pour obtenir ces papiers, voire être les victimes de passeurs mal intentionnés.
Ce n'est pourtant que l'arbre (et ils sont nombreux) qui cache la forêt (équatoriale).
Aurion propose une cosmologie qui fonde l'histoire du monde dans lequel le jeu prend racines, mais également le système de combat tout entier et la quête intérieure du personnage. Si cela n'a rien d'original sur le papier (mais est toujours bienvenu), on accueillera avec curiosité l'idée selon laquelle le peuple de Zama, renfermé sur lui-même dans une paix coupée du monde, a été créé par les développeurs en s'inspirant de l'histoire de leur propre peuple, et d'une interrogation sur laquelle ils se sont penchés durant de nombreuses années. On comprendra alors que les Aurions (le lien entre le personnage et ses ancêtres permettant de réveiller ses capacités) et l'idée d'un éveil progressif (les quatre piliers représentant son âme) sont la psyché même du jeu. Les développeurs ont réveillé leur propre passé, pour l'incarner dans leur oeuvre, et la proposer au monde.
Aurion n'est pas seulement un jeu sur lequel ont été greffées des idées diverses. Il est le résultat d'une longue méditation, à laquelle ses créateurs ont donné la forme la plus convenable possible. En cela, il est extrêmement rare, dans un domaine qui peine encore à se débarrasser de son statut strict et exclusif de divertissement.
Ce serait une erreur que d'aborder Aurion seulement sous l'angle du divertissement, d'une vingtaine d'heures, comparé à la légèreté que d'autres jeux du genre propose. Ce serait également une erreur que d'en honorer seulement le caractère pionnier, en omettant le plaisir de jeu qu'il procure. Au carrefour de ces deux visées, malgré quelques lacunes techniques, Aurion est tout simplement un jeu profond qui apparaît, pour un coup d'essai, comme un coup de maître que chacune et chacun se doit d'essayer, ne serait-ce que pour se donner de nouvelles perspectives.