Third Impact : Taro Yoko - chronique des essais de l'éditeur sur le JRPG
Par cKei, le 05/03/2018 à 18h16 (8118 vues)
Bon il va falloir reprendre un peu ce blog en main. Le début d'année a été un peu déprimant côté personnel et j'ai eu du mal à écrire, côté reviews (deux gros morceaux à boucler) comme articles plus triviaux (dont certains prennent la poussière depuis 3 mois dans le back office). Alors je vais tenter de me remettre en selle avec de courtes présentations des ouvrages de Third Editions que j'ai lu dernièrement, et il y en a un paquet.
A tout seigneur tout honneur, c'est le dernier en date qui ouvre le bal et pour une raison simple : il est écrit par Nicolas Turcev, qui sévit longtemps sur Legendra sous le pseudo Elincia.
Pour ceux qui n'ont pas encore succombé aux grands livres de
Third Edition, une petite explication s'impose. Mehdi El-Kanafi et Nicolas Courcier écument les éditeurs spécialisés JV depuis longtemps, d'abord à leur compte, puis en collaboration avec diverses enseignes comme PixnLove et depuis 3 ans à leur propre compte à nouveau. Si le sujet du JV a longtemps été plutôt confidentiel et marginal, ces quelques tentatives ont réussi à créer un vrai engouement autour du média qui se concrétise ces dernières années avec un secteur plutôt en effervescence. C'est notamment le cas des ouvrages de Third qui se vendent bien, et depuis peu à l'internationale.
Pourtant ce ne sont pas des artbook ou des œuvres officielles à la Hyrule Historia mais des
essais, assez fouillés qui plus est. Excepté la couverture, on n'y trouve que peu d'illustrations (copyright oblige) mais énormément de texte. Cela peut paraitre austère et d'aucuns trouveront que le sujet du JV est trivial et ne nécessite pas d'explications ; ils ont tort. Pour qui s’intéresse à plus que l'aspect purement ludique / passe-temps du Jeu Vidéo, il y a énormément de chose à apprendre ; d'où viennent les créateurs, comment ont-ils eu l'idée, quels sont les messages et influences qui se cachent sous le scénario ? Ces livres épais essayent de répondre à toutes ces questions, tout en empruntant souvent le chemin de la nostalgie en rappelant les histoires de nos RPG préférés.
Il existe plusieurs collections chez Third. Les bouquins les mieux vendus semblent être "La Légende Final Fantasy" déclinés en plusieurs volumes pour chaque épisodes, ou encore ceux sur la série Zelda, Dragon Quest ou les Dark Souls. En gros, qui racontent la genèse des plus grands RPGs, les contenus, le
Lore comme on dit, et essayent d'ouvrir des pistes de réflexion intéressantes sur les références qu'elles contiennent. Cette collection va parfois sur d'autres styles de jeu tel Resident Evil ou Uncharted. On trouve également la collection Level-up qui mêle différentes licences RPG dans des articles franchement sympas. D'autres vont plutôt faire un focus sur les Créateurs que sur les licences en dépeignant leur provenance et l'ensemble de leur œuvre.
C'est de cette dernière catégorie que fait partie
L'Oeuvre Etrange de Taro Yoko, l'objet de ce billet.
L'Oeuvre Étrange de Taro Yoko
Une dernière chose avant de commencer. En tant que joueur, je m’intéresse avant tout au jeu et à son gameplay, plus qu'à l'histoire de sa création et à son contenu narratif. Ce qui veut dire que manette en main, et lorsque je fais des critiques ce n'est pas le devenir de l'équipe de développement qui m'anime mais le résultat. Et c'est bien pour cette raison que je trouve passionnants ces livres qui élargissent mon horizon culturelle en m'expliquant des facettes des JV sur lesquelles je ne m'appesantis pas de moi même. De fait en jouant à NieR la première fois je n'avais que faire du nom de Taro Yoko, que je n'ai découvert que plus tard, et si son parti pris narratif m'avait frappé je n'avais pas fouillé plus loin. Or, comme le prouve le plus récent NieR Automata, ce parti pris n’était pas un coup d'essai mais une véritable "patte" qui peu à peu a imprégné les productions de Yoko et, avant et après NieR, est devenu la marque de fabrique du personnage en tant qu'auteur.
Mais revenons à nos moutons. Le présent ouvrage a beau disposer d'une couverture superbe (préférence perso pour la couv "non First-print" à l'effigie d'Emile), qui transmet aussi bien l'étrangeté des jeux présentés que le caractère fantasque de l'auteur, ce qui nous intéresse c'est surtout le texte.
On commencera par un avant-propos sur le choix du nom opposé à l'habituel Yoko Taro ("lin bu, bu lin, en chinois c'est inversé") et on entre direct dans le vif du sujet avec la préface signée du bonhomme lui-même. Il a tout à fait conscience de ne pas être quelqu'un de très normal, et pense que les amateurs de ses jeux ne le sont pas plus. A moins que ce soit le monde lui-même *générique de la quatrième dimension* Le ton est donné.
Le livre se découpe en plusieurs grandes parties qui décortiqueront chacune un pan de la ludographie. La première est consacrée à présenter Yoko, qui il est et comment il en est arrivé à bosser dans le JV, tout en expliquant comment les structures (les développeurs, surtout Cavia) ont joué un rôle dans ce processus. Puis c'est à la création des jeux - Drakengard, D-OD2, NieR, Drakengard 3 puis NieR Automata dans l'ordre chronologique - qu'on s’intéresse. Pourquoi le choix de ces formes là, les choix de game-design, d'idée générale.
Si la ligne directrice du livre est assurée par Taro Yoko, c'est avant tout un fil rouge : Nicolas Turcev n'oublie pas que la création d'un univers de rpg aussi vaste n'est jamais l’œuvre d'un seul et unique démiurge mais découle des talents à chaque strate du développement - scénariste, mais aussi programmeur, compositeur des musiques etc. C'est ainsi que le chapitre suivant va bifurquer du fil rouge pour braquer ses feux sur Keiichi Okabe et les autres participants aux bandes-son des jeux du "multivers Yoko".
Dans l'ensemble le livre se lit extrêmement bien, le style de l'auteur étant parfaitement fluide et pas trop ampoulé. Les informations données sont claires et appuyées de références sans toutefois tomber dans le travers de notes de bas de page qui en prennent les 2 tiers comme ça a pu arriver sur d'autres ouvrages. Il faut noter les fréquents renvois à une url, pas super agréables dans un livre papier. Ceci étant c'est difficilement évitable quand on parle de jeux édités depuis le début des années 2000, d'un créatif peu bavard dans les canaux habituels, et dont les principales sources d'information vont logiquement se trouver sur le web anglophone ou japonais. Notez qu'en version numérique (séparée ou fournie avec la First Print) vous pouvez certainement consulter les sources directement selon l'application de lecture utilisée, ça rattrape un peu le coup.Le gros morceau suivant est consacré à l'univers des jeux, en suivant la chronologie "naturelle" de cet univers. On commence donc par DrakenG3, puis le 1 avant d'en arriver sur NieR et sa suite. Je vais le dire de suite, si le factuel est utile pour se rappeler des évènements denses et tarabiscotés de l'ensemble de la série,
c'est le principal bémol que je mettrais au livre*. En choisissant de résumer pas à pas les étapes des quêtes des protagonistes plutôt qu'en dégager les grandes lignes, on risque de perdre le lecteur. Ce qui passe dans un RPG qui s'étend sur 10, 20, 80 heures n'est pas aussi digeste ramené à une trentaine de pages brutes, et pire cette façon de faire souligne parfois le caractère foutraque et bordélique des scénarios, avec des personnages qui meurent puis ressuscitent plusieurs fois, se transforment comme par magie ; ce n'est pas voulu mais on a parfois un peu l'impression de lire un résumé qui tourne en ridicule le scénario alors que ce n'est que la conséquence d'une trop grande précision. Notez que ça m'a surtout frappé pour les Drakengard, ayant un lien plus sentimental avec les NieR.
Ceci étant dit on trouvera difficilement de source aussi complète sur ces histoires étant donné l'aspect "niche" et ramifié des jeux, ou alors en se farcissant les wikis en long en large et en travers. Pour ma part, n'ayant fait aucun des Drakengard pour tout un tas de raisons j'apprécie tout de même d'en connaitre désormais le contenu : je comprendrai d'autant mieux les implications sur NieR et Automata.
Au sortir de cette section, qui dure un bon tiers du bouquin, on arrive à la dernière partie à mon sens beaucoup plus captivante. L'auteur se sert de chaque jeu pour
décortiquer les intentions de Yoko quand celui-ci nous conte des histoires si déviantes de la norme. Bien sûr il doit user d'hypothèses, et c'est le propre d'un essai ; la plupart d'entre elles sont toutefois bien loin des élucubrations qu'on a pu voir dans d'autres ouvrages : plus érudites et soutenues de faits et références bibliographiques. Qu'elles soient fidèles à l'exacte vision de Yoko ou non, elles sont de toute façon intéressantes dans le cadre d'un corpus de jeux qui ouvrent à l’auto-réflexion et au questionnement de la nature humaine.
Ce qu'on perçoit plus distinctement, au travers de ce livre et des jeux de l'univers Taro Yoko (entre autres), c'est qu'au delà de son moteur ludique ou de ses fonction d'échappatoire ou de catharsis, le Jeu Vidéo peut être utilisé comme véhicule d'un message ou d'une interrogation faite au joueur. C'est quand même stimulant, dans un média trop souvent vu comme superficiel. * D'autres livres de chez Third, confrontés au même problème, ont fait des choix radicaux pour éviter cet effet de liste. J'en parlerai dans les prochains billets car j'ai justement deux exemples sous la main (
La Legende Dragon Quest et
La Legende Final Fantasy I-II-III) et qu'entre tout et rien raconter, le réglage n'est pas toujours facile - ni adapté à tous.
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