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[SPOILERS] Blade Runner 2049
Par Takhnor, le 15/10/2017 à 16h05 (1911 vues)
Catégorie : Films
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J'ai vu Blade Runner 2049 la première fois il y a une dizaine de jours maintenant, et il m'a fait ressentir un certain nombre de choses que je n'avais pas ressenties depuis longtemps ou que depuis trop longtemps je n'avais espéré. Le premier visionnage fut une claque visuelle, auditive et émotionnelle, même si la "claque" auditive fut peut-être un peu trop forte cette fois-là. Je l'ai revu plusieurs fois par la suite, à l'heure où j'écris j'ai vu 5 fois ce Blade Runner 2049 au cinéma.

Chaque fois que je suis allé au cinéma, j'étais moi-même impressionné de ma démarche - le "pire" que j'avais fait auparavant fut d'aller 3 fois voir le Retour du Roi - et pourtant, je sais qu'avant le retrait des salles de cinéma, je retournerai, sans doute à raison d'une fois par semaine.

Cela semble plutôt excessif pour un simple film, d'autant plus que je n'y vais pas avec un pass mensuel comme certains, mais je recrache au bassinet à chaque séance (certes à prix réduit mais quand même).

J'y suis retourné pour plusieurs raisons, mieux juger la bande son, la recherche du détail, la curiosité de comparer VO/VF 2D/3D, et puis surtout, et c'est bien l'essentiel, se faire plaisir !

Ça fait depuis jeudi que je n'y suis pas allé, pour des raisons de disponibilité évidemment, me concernant et également à propos des versions que je préfère visionner.



J'ai voulu ici principalement mettre des mots sur ce que j'ai ressenti, faire des ébauches d'analyse très brouillonnes, il faut s'attendre à ce que ce que je note soit décousu et désordonné et très maladroit, et je m'excuse par avance car je me doute bien que ça risque d'être très indigeste...

Attention, je vais évoquer pas mal d'éléments "spoilers" issus du roman de Philip K. Dick Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques, du premier film Blade Runner (de ses diverses versions) et évidemment de Blade Runner 2049 (dans sa forme actuelle, nous verrons bien avec le temps si d'autres feront leur apparition comme pour son aîné). Il y a d'autres films et œuvres, donc gaffe.



Première chose avant d'aller plus loin, il m'est difficile de recommander ou de ne pas recommander un tel film. Mon enthousiasme est assez éloquent, cela dit je pense qu'il est important de trouver le bon moment pour le voir. Le bon moment, le bon état d'esprit. Car si le premier Blade Runner est considéré comme une œuvre emblématique à juste titre, je crois qu'elle a pu concrétiser son statut du fait que la majorité des fans l'aie vue quand des conditions optimales (ou presque) furent réunies, je parle de toutes celles et ceux qui l'ont vue en VHS, LD, DVD, BR etc; la part des personnes l'ayant vue en salles en 82 et/ou 92 étant réduite par rapport à l'ensemble des fans, selon moi.

Car ce n'est pas le genre de films qu'on va voir après une journée crevante après laquelle on peut facilement tomber de sommeil sans une bonne dose de café. C'est également le cas pour Blade Runner 2049. Je ne suis pas partisan de l'idée qu'une œuvre doit être universelle, capable de captiver tout public, toute personne, à tout moment. C'est parfois au public de savoir où il met les pieds, de prendre ses dispositions et de s'adapter. C'est clairement un film "pour public averti", et cela peut sembler pompeux et arrogant, mais je pense que pour ce genre de films il est nécessaire de "s'avertir", l'expression "public averti" servant trop souvent de moyen d'exclusion et de marginalisation. Ici on est sur du Blade Runner, mais c'est également le cas pour d'autres styles, autres genres, types, supports, media, etc.


Est-ce nécessaire d'avoir vu le premier Blade Runner ? Je crois que oui. Indispensable ? Pas forcément, mais je pense qu'on perdrait beaucoup pour des raisons narratives à zapper le premier. D'ailleurs BR 2049 ne table absolument pas sur la notion d'émerveillement et de fascination face à la découverte d'un univers dystopique-noir d'anticipation. C'était la prouesse du premier BR et chose acquise. BR 2049 n'essaie pas de réinventer la roue ou de mimer BR pour susciter de la nostalgie et c'est déjà un premier bon point.

Quelle version de BR ? Originale, Director's cut, Final Cut ? Sérieusement ? On s'en fout un peu. BR 2049 est suffisamment ambigu pour maintenir l’ambiguïté sur le "statut" de Deckard. De toute façon, j'ai toujours trouvé cette polémique inutile et à contre-courant du but premier de l’œuvre selon moi.

Alors, quid du roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? ? Oui et non. Il est à mon avis indispensable de l'avoir lu, ne serait-ce que pour désacraliser un peu le premier BR, le rendre un peu moins mythique et plus "humain" (oui j'insiste). Le roman n'est nécessaire pour la compréhension globale de BR ou de BR 2049, mais il est un atout indéniable pour déchiffrer toutes les subtilités de ceux-ci, en particulier du second volet, tant BR 2049 regorge de clins d’œil et de mentions parfois à peine masquées.

De même, connaître un peu les œuvres et la vie de Philip K. Dick est un plus car BR 2049 ne s'arrête pas aux Androides... .

La filmographie de Villeneuve et de son équipe, ainsi que de celle de Scott et la sienne ? Également je pense; après, j'avoue être assez profane, n'ayant vu que Sicario et Premier Contact pour le premier, et n'ayant pas vu Alien Covenant pour le second (apparemment certains diront que ce n'est pas une grande perte ^^).

Il est d'autres œuvres évoquées voire littéralement mentionnées dans BR 2049 dont certaines j'avais déjà lues et d'autres ont piqué ma curiosité.

BR 2049 instille le doute sur un bon nombre de scènes et de plans, toujours en relation avec un point d'ancrage, que ce soit une œuvre ou une situation précédente.



EDIT (16.10.17) : petits ajouts et quelques corrections

EDIT (20.10.17) : autres ajouts

EDIT (21.10.17) : derniers ajouts, oui derniers, promis, vu que bientôt sort l'artbook, il sera temps de confronter un peu mes divagations avec ce qui a "réellement" pensé. ;) (au pire je ferai ensuite quelques corrections d'orthographe ou de grammaire c'est tout)

EDIT (27.10.17) : j'ai craqué, y a d'autres trucs que j'avais sous la main

EDIT (04.11.17) : 1 mois après (un mois déjà !!!) et juste quelques petits trucs.

EDIT (16.11.17) : réflexion sur une fin alternative




ATTENTION




Bon. A partir d'ici et jusqu'à la fin, ne pas lire si on n'a pas vu le film.

J'ai noté qu'actuellement le film est au cœur d'une polémique. Je ne souscris pas à l'idée que BR 2049 soit un film misogyne ou féministe. J'avoue même que ces idées m'étaient passées au-dessus de la tête même après 5 visionnages. Il y a en effet pas mal de personnages féminins, dont certains ont un "statut" et un caractère bien trempé, et il y a cela dit la notion d' "objet", d' "outil". On retrouve évidemment la prostitution féminine, point d'ailleurs sur lequel le premier BR avait pointé du doigt, élément que même Dick avait évité dans les Androides... car dans le roman, il est interdit officiellement d'utiliser les androïdes comme esclaves sexuels (bien évidemment dans le livre on sait que sur les colonies ça se fait). Mariette et Joi, chacune représentent une objectivation de la femme, en particulier de la "femme-objet" via la prostitution et la pornographie. Apportant désir et réconfort, elles sont les esclaves d'individus eux-mêmes esclaves d'un système.

Joshi, bien qu'ayant le statut de "madame", de supérieur hiérarchique et de femme de pouvoir dans le Los Angeles de 2049, n'est qu'un simple outil, figure fantoche symbolique du pouvoir d'État dans un monde régi par les corporations. Au début, elle incarne le pouvoir, mais en vérité ce n'est qu'un simulacre dont elle est elle-même consciente : elle ne peut pas empêcher l'assassinat de son légiste "Coco" par Luv, la mandataire officielle de Wallace, de même que la séquestre des éléments d'enquête, et ne peut même rien faire contre des opérations de guerre génocidaire à la lisière de son périmètre. Cela peut sembler incohérent au premier abord, mais dans un tel univers où les corporations, en particulier le complexe militaro-industriel, sont toutes-puissantes et doivent être en rapports étroits avec les hautes strates des gouvernements, c'est tout à fait logique. La communication holographique avec une représentante d'un consortium minier rappelle à quel point l'avidité de ressources est un moteur de cette société. Aucun gouvernement n'est proprement mentionné (la danseuse en tutu "CCCP product Soviet Happy" est peut-être un reliquat de la vision cyberpunk de l'époque de la guerre froide ou la récupération cynique à l'aide d'une association orwellienne par une multinationale), pas même de l'état géopolitique à l'échelle terrestre, solaire ou extra-solaire (d'ailleurs les 9 nouveaux mondes ne sont pas définis, il pourrait s'agir de lunes de Jupiter ou Saturne exploitées - Wallace pouvant restreindre le terme "nouveau" en terme d'utilité et d'exploitation, et pas forcément en terme d'exploration en dehors du système solaire). Les Androïdes faisaient à peine mieux avec une simple mention fugace sur la Nouvelle Amérique martienne. Aussi Joshi n'est utile que pour maintenir un semblant d'ordre. Si elle n'est plus utile ou si elle fait obstacle, elle est éliminée voire traitée comme un déchet. Si son meurtre froid est sinistre et l'utilisation de sa tête pour la reconnaissance lugubre, le rebond de celle-ci contre le bureau parfait le malaise ressenti devant l'horreur. Et pas besoin d'une seule goutte de sang à l'écran. Et rien ne se passera, car très vraisemblablement l'affaire de meurtre est négligeable par rapport à la bonne entente entre les très hautes sphères de l'État et les corporations. La raison d'État.

D'ailleurs cette scène rajoute à la froide détermination et au cynisme autour du personnage de Luv (encore mention orwellienne). L'autre épisode écœurant la concernant étant selon moi le massacre qu'elle orchestre avec une désinvolture insoutenable : les frappes orbitales qui massacrent les maraudeurs, tandis qu'elle fait une séance de manucure. Cela semble un recours facile, et pourtant à l'ère des drones et "frappes chirurgicales", en quoi cela est-ce étonnant ? La mise à mort de la Rachel made by Wallace ne devient qu'une pierre à l'édifice. "Enfant chéri" de Wallace, la "meilleure des anges", dans son besoin de reconnaissance paternelle, Luv n'est qu'un simple outil : à la manière de Joshi, elle sert à maintenir "l'ordre" ou plutôt le statu quo en attendant que les corporations n'aient définitivement plus besoin des intermédiaires - les États et autres entreprises "inférieures". Elle sert d'interface avec le monde extérieur, elle représente les yeux de Wallace en dehors de son building, et ses mains quand il s'agit de s'en salir. Représentante, secrétaire, diplomate, femme de terrain, avec la symbolique mystique et religieuse de Wallace il est facile de reconnaître en elle un genre de personnages connu. Mais sera-t-elle reconnue pour autre chose qu'un "ange" ? Autre chose qu'une réplicante ? Non. La meilleure tout au plus.

Que dire de Freysa ? (un jeu de mot avec freezer ?) Elle-même gesticule en coulisses pour former une armée révolutionnaire. Mais face à la toute puissance des corpo, et de l'immobilisme des États, sa révolution a-t-elle une petite chance de réussir ? Même avec l'enfant qu'elle compte utiliser en porte-étendard (ou bouclier "humain" ?) "le moment venu" ? Une telle révolte n'a-t-elle pas été envisagée depuis longtemps par les mainteneurs du statu quo et les partisans des corpos ? N'ont-ils pas en réserve des forces spécialisées dans la contre-insurrection ? Des Blade Runners ? Freysa n'est-elle pas non plus un simple outil involontaire des corpo qui se saisiront de sa révolte pour agrandir encore plus leur main-mise sur les mondes, et apparaîtront en sauveur de la stabilité en éradiquant les révolutionnaires et renforçant le conditionnement psychique des répliquants ? Car rien ne dit que Freysa et sa faction réussira. Freysa, avec sa compassion et son empathie bien que limitée, récite des discours et perpétue l'instrumentalisation des idées et personnes.

Ana Stelline est à la fois protégée et prisonnière de son cocon. Le pire, c'est qu'il y a également un doute ici : si Deckard fut chargé de falsifier les données la concernant, et si son dossier médical l'avait été ? Bon, il aurait agi peu après la naissance, mais peut-être partiellement ? Ou peut-être que quelqu'un d'autre s'en est chargé ? Un autre intermédiaire la plaçant à l'orphelinat, un autre attendant le bon moment pour l'extraire de celui-ci des années après avec le dossier falsifié (ou alors Stelline a eu de vrais parents adoptifs qui l'auraient eux-mêmes protégée). J'ai davantage trouvé que le rêve était un exemple de brutalité entre enfants (chose qu'aujourd'hui encore on ne prend pas assez la mesure) qu'une violence orientée envers les femmes en général.

On en oublierait même les répliquantes qui ne servent qu'à être montrées et mises à mort ensuite, comme "le nouveau modèle" et la nouvelle Rachel.


Ce n'est pas très glorieux en effet, mais le sort des hommes-outils n'est pas enviable non plus. K n'est qu'un Blade Runner, un tueur professionnel, un mercenaire affrété à la police. Il a pour principale mission d'exécutant et d'exécuteur, un bourreau. Tout comme Deckard, mais là où Deckard effectuait une traque - certes extraordinaire par son succès, caractère extraordinaire amoindri dans le film BR alors que c'est un record quasi absolu dans le livre - qui s'inscrit dans ses attributions classiques, K est chargé également de faire le nettoyeur pour le compte de Joshi, ce qui prend en plus un caractère du banditisme d'État. Joshi est même tentée de l'utiliser pour passer du bon temps.

Deckard n'est plus que l'ombre de lui-même (lui qui n'était déjà qu'une ombre dans le premier BR...). Évidemment il a été la même chose que K, et est à présent aussi un outil : il s'inscrit dans les "traces à effacer" de Joshi qui n'y pense à aucun moment, instrument de Wallace et Luv pour obtenir des informations, torturé psychologiquement et en vue de l'être physiquement, et même considéré comme une simple perte négligeable par Freysa qui cède à la facilité de demander son élimination. À moins que ce soit K l'élément négligeable, qui, s'il tuait Deckard, rendrait ce dernier un martyr servant la cause de Freysa, et K serait sans doute éliminé (soit envoyé à la mort chez Wallace, soit en douce par Freysa et cie). Car quid du garçon ? Il disparaît, ok. Adopté ? Enlevé ? Éliminé ? "Une pièce du puzzle". Vu les démembrements dans le film (yeux arrachés, ossuaire, corps déchiquetés des maraudeurs), rien n'indique qu'il ne s'agit carrément pas de propos à prendre littéralement.

Les figures masculines terrifiantes et dominatrices le sont selon un référentiel. D'abord, le robot qui fait passer les tests de K : avec la rythmique et la bande sonore, entre le son strident et le martellement, cela a autant du test de vérification de compliance et de loyauté qu'un langage de conditionnement à la soumission. K devient une petite chose dans une petite boite blanche à la merci d'une élimination sans préavis. Et pourtant, le flou s'efface pour voir un petit robot contre le mur, certes sinistre avec son œil observateur, mais une fois le test passé, il semble moins puissant qu'à première vue.

L'esclavagiste d'enfant dans l'orphelinat a l'air également impressionnant en particulier pour les enfants, se dressant avec les surveillants, seul debout, montrant sa supériorité. Son langage corporel se veut menaçant, sa gestuelle bossue, avec sa capuche. Mais une fois "remis à sa place" par K, on observe un petit homme en costume avec un simple manteau et une écharpe, tout tremblotant.

Enfin, même Wallace a cette dualité, en particulier lors de sa confrontation avec Deckard : tel un monstre énorme dans le noir avec ses deux "yeux" bleutés surgissant de l'ombre, il apparaît comme un simple homme, même si on est moins surpris que lors de son inspection du nouveau modèle. Sans doute pour accentuer sur le rapprochement de l'aspect menaçant des autres figures.


Cela fait-il de BR 2049 un film sexiste ? Absolument pas. Je sais pas moi, mais ce monde n'est pas agréable, n'est pas plaisant, n'est pas un endroit où il fait bon vivre. La nudité reflète autant l'arrogance et la décadence (corps de réplicants dans du formol comme chez un savant-fou cherchant à créer la vie, statues voluptueuses d'un monde mort, hologrammes d'un monde en pseudo-vie) que les meurtrissures, démembrements et morts l'indifférence d'une société apathique. La Science-Fiction n'a pas vocation à produire des mondes utopiques bienfaisants. Mais à soumettre au questionnement. Alors dépeindre une société patriarcale où le système assure implacablement l'établissement d'une société néo-aristocratique comme le fait BR 2049 n'a pas pour but d'être pris en exemple, n'a pas pour but de rassurer les gens sur le futur et leurs inactions éventuelles. Mais d'avertissement. Quand d'autres font du divertissement.

A l'inverse, le dénouement dans la présence d'Ana, je ne l'ai pas non plus vu comme une action féministe. Mais comme s'intégrant dans un hommage plus profond à Philip K. Dick. Si Deckard est sans doute à l'origine sur une similitude avec Descartes, dans ses réflexions et l'empathie en particulier dans les Androïdes, K peut à la fois faire penser à Dick (en particulier sur son n° de série), autant qu'à Joseph Kafka et son procès en rapport avec la notion de robots/esclaves (tout autant qu'un développement inverse à celui de la Métamorphose). Le fait d'avoir de "vrais" "faux" jumeaux dans l'histoire, de la disparition de l'un des deux, de rêves qui hantent K en rapport avec "l'autre", la similitude des actrices quant à leur silhouette et leur visage (évidemment flagrant dans la scène de désir), tout cela crie à l'histoire de Philip K. Dick, homme traumatisé par la perte de sa jumelle et qui, selon l'analyse intéressante du documentaire de 2015 diffusé dimanche dernier sur Arte, l'a cherchée toute sa vie, dans ses rêves et ses romans. Je ne crois pas qu'on puisse lui faire un aussi poignant hommage en y réfléchissant.

Il y a beaucoup de symbolisme, comme quelqu'un l'a noté sur la discussion sur NeoGaf, l'amour triomphe de la joie, dans la douleur. Quand Deckard demande dans le transport (qui ressemble à ce que serait une coccinelle volante - un rapport avec la Métamorphose ?) à Luv où ils vont, elle lui répond : "Home". Dans l'espace car nous sommes des poussières d'étoiles ? Au large car la vie sur Terre est apparue dans l'eau ? Dans une usine spatiale car ils seraient réplicants ?


BR 2049 jongle avec la notion d'humanité et d'animalité (que j'oppose à la bestialité), sur l'empathie, la compassion, l'âme (un rapport étymologique, animus,i,m ?). Mais également sur la notion de choix et de croyance. Non pas la croyance au sens religieux, mais sens d'idée, d'idéal, de choix de vie, de choix de souffrance, et de choix de mort. En particulier sur le fait de donner un sens à tout. À sa condition, pour ne pas sombrer dans la folie, le monde étant déjà suffisamment fou et absurde.

Comme je l'ai dit, Joshi désire maintenir l'ordre, ou plutôt veut croire qu'elle le fait. Elle veut croire que K va l'aider à maintenir le statu quo, statu quo qui est l'essence même de son utilité. Elle veut croire que ce qu'elle fait n'est pas vain, qu'elle fait le bien et empêche la mort et la désolation. Elle veut croire l'espace d'un instant que K n'est pas un réplicant ou qu'il est un réplicant autre. Pour exister ou avoir l'impression d'exister. C'est sa foi en son ordre factice, à cause de la peur de ses erreurs, qu'alors que K est totalement devenu illoyal (donc non-loyal en plus d'être illégal), elle veut croire en ce simulacre que rien ne change, que K n'a pas changé. Et quand K lui renvoie son visage, elle laisse faire.

Joi est un personnage complexe. La Joi de K peut très bien réagir par programmation : programmée pour suivre les désirs et directives de son propriétaire, elle n'aurait pas de conscience propre, mais seulement répondant à des stimuli ou programmes archivés ? (par rapport à sa sortie avec l'émanateur, le fait qu'elle s'active avec son thème de Pierre dans Pierre et le Loup de Prokoviev systématiquement à chaque fois que K parle avec une femme ? - sauf Joshi dans son bureau, mais ça ne l'empêche pas de l'écouter silencieusement dans l'appartement. Intègre-t-elle des données ? Quand Mariette va sortir de l'appartement, elle apparaît et la fustige, même si K n'écoute pas, est-elle programmée ou est-elle devenue jalouse à cet instant suite à l'intégration de données, ou encore était-elle déjà jalouse, ce qui l'aurait motivée à écouter les conversations de K ? Si elle est devenue sentiente, quand cela s'est-il produit ? On dirait que ça commence à changer avec l'émanateur, figure d'émancipation. Mais n'est-ce pas sur le toit quand K lui dit "tu n'es pas obligée de dire ça" ? Quand elle tente de réveiller K, c'est à la fois glaçant et émouvant, mais on peut penser qu'elle réagit comme un drone de surveillance avec signal d'alerte. Mais pourquoi ne reste-t-elle pas discrète quand Luv malmène K blessé à Vegas ? Pourquoi lui dit-elle qu'elle l'aime juste avant d'être détruite ? Et quand K voit la géante Joi nue aux yeux noirs, que pense-t-il ? Qu'il a été trompé et manipulé depuis longtemps ? Que tout était dans sa tête ?
Je suis peut-être sentimental, mais je préfère croire que Joi a été élevée à la sentience, à la conscience, à l'empathie et à l'amour. Et qu'elle a progressivement été confrontée à la frustration de n'être au mieux qu'holographique, voulu être "réelle" par le toucher et par le risque d'être perdue. Elle est prêtre à sacrifier son ubiquité pour gagner en unicité, peut-être simplement pour "exister", croire qu'elle existe, par peur de perdre K, et par amour. Et K par deux fois également, réalise ce qu'il a perdu après la fin de sa Joi : lorsque rafistolé par la résistance, Mariette le prépare à la venue de Freysa, en caressant le visage de Mariette, il retrouve celle qu'il a aimée physiquement une nuit, puis détourne le regard de douleur au souvenir de Joi, et enfin lorsqu'il "devient bleu" et réalise que sa Joi et perdue, et qu'aucune autre ne pourra la remplacer, même si une autre Joi use des mêmes phrases mais sans le sens qu'accordait sa Joi, en parallèle à Deckard et la "nouvelle" Rachel. Ils décident tous deux de ne pas céder à la facilité de la réplication, et rendent à leurs aimées ce pourquoi elles se sont battues et sacrifiées : leur caractère unique. Leur raison d'exister. Le respect dans le souvenir et le refus de la chimère.

EDIT (20.10.17) : il y aussi un point de réflexion sur la scène de la Joi géante, quand K se remémore les dires de Morton et de Freysa, est-ce le concernant ? Est-ce que c'est lui qui est concerné par la notion de sacrifice ? N'est-ce pas en fait une réflexion sur Joi, suite à la confrontation avec la Joi géante, preuve que sa Joi était différente ? Que se sacrifiant pour sauver K en suscitant de la pitié et mépris de la part de Luv et ainsi canalisant sa rage sur elle, est la preuve que sa Joi était devenu sentiente, humaine ? Et qu'ainsi, c'était ça, le miracle auquel il a assisté ? Aussi K réagit-il par vengeance contre Luv et refuse-t-il d'abattre Deckard, le rend libre à la fois de Wallace et Freysa, le fait sortir du système - idem pour Ana, ne dévoilant pas son identité - par empathie, peut-être parce qu'il ressent des sentiments similaires à Deckard pour Rachel ? (la superposition des nuques de Deckard et K plan à plan ne serait pas un simple effet de style, mais un parallèle).
D'ailleurs, au début, Joi acceptait de jouer la comédie sur le fait d'accepter une boisson (l'alcool) mais pas après avoir été "réelle" où elle décline avec humour tendre le café, elle ne veut plus être un simulacre. Ce qui se confirme par "c'est ce que je veux" plus tard.
Ainsi, je persiste à l'idée que Joi était devenue sentiente.

Mariette, à son niveau, bien qu'instrumentalisée par Joi elle-même (une certaine ironie dans les faits vu qu'habituellement les IA sont à plus bas niveau d'utilité que les réplicants), se rêve d'être unique également. Comme je l'ai entendu dans un interview, la scène de désir (et non de sexe ou d'amour, car plus complexe que ça) - qui par son caractère à la fois sinistre et beau, relève du fantasme de la fusion femme-désir et femme-amour devenu réalité - montre un homme qui est touché pour la première fois par une femme, une IA qui touche pour la première fois un homme, et une femme qui est embrassée pour la première fois par un homme avec amour. Et Mariette, si elle est également soumise au stress de mettre le mouchard, est visiblement bouleversée, réagissant également avec jalousie à l'encontre de Joi. Et quand K est meurtri après Vegas, elle veille à son chevet et est présente quand il s'éveille, tente de l'apaiser avec tendresse. C'était peut-être prévu par Freysa dans le but de pouvoir plus facilement manipuler K (ou de le faire réaliser la situation), mais Mariette semble chercher dans le regard de K la douceur et la tendresse qu'il avait cette nuit là, elle espérait y trouver cet amour qu'elle a découvert, le fait que l'espace d'une nuit elle a compté, existé, mais devant la détresse de celui-ci, se relève pour se fondre dans la masse des révolutionnaires, ainsi déçue de ne pas retrouver cet instant unique, préfère sacrifier le souvenir de son unicité pour la cause.

EDIT (20.10.17) : de la même manière que l'archiviste de Wallace ment sans réelle conviction à K concernant le statut de Rachel, il me semble que Mariette ment à K lors de leur première rencontre au sujet de l'arbre mort, qu'elle n'en a jamais vu. Je pense que c'est un demi-mensonge, ou une demi-vérité : son émerveillement lorsqu'elle manipule le petit cheval de bois ne m'a pas l'air relié directement à la notion de richesse, mais à quelque chose d'autre. Je crois que Mariette n'a pas l'élément de mémoire de K issu du vécu d'Ana, mais peut-être un autre, concernant un arbre en vie, voire une forêt. Souvenirs faux ou non, je pense qu'elle a été marquée par une imagerie de forêt ou d'arbre, associée à un sentiment d'apaisement (comme ce qu'Ana déclare à K concernant son travail). Donc quand Mariette affirme qu'elle n'a jamais vu d'arbre, elle dit la vérité, mais quand elle dit qu'elle n'en a jamais vu, ce n'est pas si vrai que ça.

Morton, qui double d'intérêt après visionnage du court-métrage le concernant, doit peut-être estimer qu'il était déjà "mort", et qu'il avait exister et une raison d'exister en assistant la naissance du bébé, malgré les tentatives infructueuses de sauver Rachel à qui il a dédié tout un soin particulier en constituant l'ossuaire (quelque chose qui a du être extrêmement éprouvant). Il est en sursis et lors du combat avec K, il cherche à sur-vivre, un peu comme Zhora dans BR qui s'évanouissait tel un papillon meurtri. Le rapport insectoïde est assez intéressant avec la combinaison qu'il porte dans la ferme, ses respirateurs ressemblant à des mandibules de mante.

Freysa trouve son moyen d'exister en menant, planifiant la future révolte, comme Deckard bercée par le souvenir, ici d'avoir vu Rachel enceinte, accoucher, et le bébé "blême de rage". Au delà de la révolte face aux injustices, elle cherche à trouver un sens à sa vie par l'attitude maternelle envers l'enfant, mais également de l'utiliser comme un objet de changements, elle ne l'imagine pas femme, capable de ses propres actions, elle parle de destin. Elle y sacrifie également de son unicité pour s'inscrire dans la révolution, et se perd dans l'idée d'être humaine. Elle a cependant de la compassion pour K à propos du rêve d'enfant. Freysa bien que douée d'empathie s'est peut-être réfugiée dans l'idée maternelle d'absorber les souffrances, tout en mettant quand même de côté la compassion vis-à-vis des adultes, y compris du sort de Deckard. Un froid "le fils doit tuer le père" (même si ce n'est pas le fils...).

EDIT (20.10.17) : je pense que la version FR donne une vision un peu plus sinistre de Freysa par rapport à celle de la VO, à cause peut-être du ton de la doubleuse que j'ai trouvé un peu plus dur que celle de l'actrice. On a l'impression en VO, que le personnage est un peu plus hésitant concernant ses convictions, en particulier concernant son empathie démonstrative ou cachée, même si Freysa est déterminée.

Luv quant à elle, réprime constamment la douleur de l'empathie face à la cruauté, refuse la compassion. Elle pleure avec le visage impassible, peut-être par peur d'être traquée comme tant d'autres, d'ailleurs la scène où on voit les "yeux" de Wallace lors de l'inspection, il n'y a pas que le nouveau modèle qui est inspecté, mais également Luv elle-même, un œil en lévitation à sa droite surveillant ses réactions. Il y a sans doute la volonté de Luv d'être la "fille préférée du père", mais peut-être aussi le traumatisme de la surveillance totale et constante, entrainant le fait qu'elle devienne elle-même le personnage qu'elle s'était façonnée pour survivre et se raccrochant à son simulacre d'unicité. Sa réaction et ses questions sont d'ailleurs troublantes lors de la première confrontation avec K : cherche-t-elle la voix de la raison en espérant que K la convainque ? Le sonde-t-elle ? Si K n'avait détourné la question par rapport à Rachel que ce serait-il passé ? Quand elle confronte et tue Joshi, ne se parle-t-elle également à elle-même pour se convaincre d'avoir fait le bon choix ? Et ce besoin de dire à K qu'elle est la meilleure, n'est-ce pas pour se rassurer elle-même ? D'ailleurs si elle détruit avec un sombre sarcasme Joi, pour affecter K, pourquoi ne le tue-t-elle pas ? En remerciement de services rendus (l'avoir indirectement amenée à Deckard et potentiellement à l'enfant) ? Car elle savait déjà évidemment que K était un réplicant. Ici ce pourrait être un problème scénaristique, mais je pense (peut-être naïvement) qu'il y a un sens à cela. Pas vraiment de la compassion, peut-être de l'arrogance face à un homme brisé, une façon cruelle pour elle d'exister.

EDIT (16.10.17) : concernant Luv, en définitive, je persiste sur le caractère inapproprié caustique de son nom. Ce n'est pas tant le manque d'amour qu'elle porte au monde qui importe, mais plutôt la haine qu'elle semble porter pour Wallace. Elle est également comme un lion en cage. De par ce point, elle ressemble à Ana, mais contrairement à cette dernière qui dans sa boule à neige (cf la dernière scène) qui éprouve amour et empathie, malgré son immobilité, Luv peut se déplacer de par le monde et l'univers, et ce bien plus aisément que n'importe quel humanoïde (humain, réplicant, andro ou que sais-je) car elle a accès aux fonds de Wallace. Mais avec la surveillance de Wallace, elle n'a plus de place pour l'imagination, elle est son esclave (là où Ana refuse de vendre sa société pour préserver sa liberté), ainsi son visage pleurant mais ne sanglotant pas, elle peut très bien haïr Wallace de tout son être, et ce même si elle le mime, en particulier avec le baiser de mort.

L'esclavagiste d'enfants, lui, décide d'exister au travers de la tyrannie qu'il exerce sur des enfants, quand il se prend un pain, le plan sur les enfants qui le regardent en coin est très marquant, tout comme le silence de mort quand le garçon fait tomber le bol avec la carte mère. C'est du non dit, mais très explicite.

Wallace quant à lui, essaie de chercher à se donner un sens, il n'a pas le génie de Tyrell/Rosen, il est arrivé après le succès et la mort de ce dernier, et est bloqué dans sa frustration de ne pas proposer quelque chose de radicalement nouveau. Un peu comme un fils dans l'ombre du père. Il est excédé par l'insuffisance de mondes conquis, qui ne font qu'être un simple nombre. Il veut une révolution technologique dont il soit l'initiateur, mais même ici, avec l'enfant de Rachel, il ne fait que copier Tyrell. Il peut pavaner avec ses murs de bois signe d'extrême richesse, il peut ironiser du poisson-volant, il disposer de millions d'"anges", d'"enfants" (encore plus cynique après le sort d'enfants à San Diego, ville dépotoir, servant au simulacre - encore - de Los Angeles), il peut tranquillement surveiller tous ses clients, voire leur faire chantage ou les éliminer etc... Il peut conquérir l'espace et l'univers. Mais il ne peut gagner l'humanité.

EDIT (20.10.17) : si la notion de richesse concernant le bois est bien montrée dans le film, il y a aussi des allusions à l'eau. Certes, on voit la pluie, la neige, l'océan pacifique (avec son mur sur la plage, qui pourrait également servir d'usine marémotrice ou de désalinisation ?). Mais on voit deux fois K prendre une douche, douche qui consiste en un jet simple d'eau détoxifiée à 99,9%. Ainsi l'eau est très rare et contaminée. De même que pour le bois, la vision d'ondulations dans l'antre de Wallace n'est pas seulement un effet esthétique mais aussi une preuve de sa puissance et de sa richesse : quand les civils galèrent pour avoir une goutte d'eau, lui a des piscines. J'imagine bien ce que Villeneuve et son équipe ont sous le coude pour Dune.

K, et c'est tout le film, cherche à exister d'abord dans un simulacre de vie à deux (faux anniversaire, faux apéritif), et reste dans sa rêverie de ne pas être réplicant : non pas d'être unique, mais d'être comme les autres. Il fuit le statut de tueur pro pour celui d'homme normal. Il se retrouve petit à petit face à des frustrations : il est furieux quand Joshi interrompt son moment "unique" d'intimité avec sa Joi sur le toit, il est face à un changement de paradigme avec l'enfant d'un réplicant, et sur la notion de meurtre (il s'était persuadé de faire le "bien" à déshumaniser les réplicants qu'il retire et prend conscience de ce qu'il fait réellement), il se met à douter de la virtualité de ses rêves, et dans cet océan de doutes son ancre de "réalité" dans le monde c'est sa Joi. Aussi je pense qu'il nourrit de vrais sentiments amoureux (dans les Androïdes, les andros sont capables de tout sentiment sauf l'empathie, c'est ce que mesure le test de Voight-Kampf), qu'importe qu'ils platoniques, il y croit car il veut y croire. Il est tellement dans le désarroi que s'il est bon enquêteur, il ne prend pas le temps de douter (bon après, il a pris beaucoup de coups dans la tête xD), et il est totalement dévasté entre la perte de Joi, la perte de son unicité et ses doutes sur ses relations. Il pourrait comme d'autres succomber à la facilité, et suivre les ordres, se fondre dans un ordre ou un simulacre d'ordre, ou une tempête. Mais il préfère faire à sa façon, sa mission suicide, sa mission de sauvetage. Il refuse d'éliminer Deckard, je l'ai vu en refus de rester Blade Runner. aussi il utilise son drone pour le faire entrer en collision avec une voiture de Wallace Corp. (intéressant d'ailleurs, ça pourrait à la fois dire qu'il envoie balancer tout ce qui est synthétique et donc pourrait faire penser qu'il n'en a plus rien à faire de Joi, et en même temps signifier que c'est la part synthétique de lui même qu'il détruit). D'ailleurs sa mutation de Blade Runner était progressive (au commissariat il a des doutes, et il refuse de tuer les maraudeurs même s'ils sont armés et nombreux : il les blesse et neutralise là où ils portaient une arme, opposition avec Luv qui les massacre presque par jeu - était-ce un hasard ou le suivait-elle ?), ce n'est qu'à Vegas qu'il commence à tuer les sbires de Wallace.
Lors de son attaque il y a une certaine forme d'inversion : son approche est furtive mais une fois la coccinelle immobilisée sur la berge, il se montre à découvert, comme ne voulant pas faire de coup bas à un animal blessé. S'il blesse Luv ce n'est que grâce à Deckard, Luv, elle use de coups bas, le tir de pistolet et la deuxième lame, qui ne trouve son flanc que parce qu'il était troublé par sa sollicitude. Ainsi l'humanité et l'empathie ont des failles, faiblesses, que l'inhumanité et l'immoralité peuvent blesser lâchement. Mais c'est le courage et le don de soi qui l'emporte. Oui dit comme ça, ça fait très neuneu...
Inversion de la posture dans la voiture dans l'eau. A ce sujet, j'ai vu les différents combats avec la frappe au larynx comme un clin d’œil au caractère défaillant des andros concernant le réflexe vagal. Et il est intéressant que K est en train de pleurer pendant qu'il tue Luv, et retire sa main du cou avec délicatesse, c'est peut-être l'instant où il cesse d'être Blade Runner (ou alors c'est en mourant lui même, laissant mourir l'assassin qu'il était).
A ce sujet, cela m'a fait penser à Planescape: Torment : qu'est-ce qui peut changer la nature d'un homme réplicant ? J'ai toujours trouvé que les regrets, réponse considérée comme celle du designer, étant secondaire. Importante, mais secondaire. Ma réponse, la première fois que j'y avais joué, était la foi, car ce n'est qu'une fois qu'on a décidé, qu'on a fait son choix, qu'on s'est mis à croire à quelque chose (je vais pas revenir dessus), qu'on peut ensuite juger ses actes, son passé, et en fonction de ce que l'on a fait, souvenirs ou pas, on peut avoir des regrets. K a des regrets dans le meurtre à la fin, c'est parce qu'il a pris d'abord sa décision. Il venait de changer.

EDIT (20.10.17) : K, à l'origine, aspire grossièrement au rêve américain, sans forcément trop creuser, ainsi sa Joi adopte l'image fantasmée de la ménagère US des années 50-début 60, avec en fond sonore du Sinatra (avec la mention à double sens de 1966 - allusion au début de la rédaction des Androïdes ? - chez Reprise records - un clin d'oeil à ceux qui auraient voulu une copie de BR à la place de ce qu'est devenu BR 2049 ? - ainsi que la posture stéréotypée de la femme qui allume la cigarette de l'homme rentrant du travail. Mais même dans un tel cadre, K ne veut pas d'une Joi soumise à ses désirs. S'il ne désire pas être "différent", par honte peut-être de son travail, il ne veut pas tellement que Joi rentre dans un moule. Il la ménage, l'émancipe. Cela peut sembler paternaliste, mais je ne crois pas que ce soit tant le but : je pense que c'est comme tout le film un éveil progressif à l'unicité de l'être et à sa liberté de choix.
Même au "boulot", s'il effectue son taff de tueur, il ne veut pas que ça dégénère, avec une attitude assez candide, il espère qu'il n'y aura pas de lutte. Je ne pense pas qu'il veuille que ses cibles soient dociles, par contexte idéologique, mais parce qu'il veut de la simplicité, du "vite fait bien fait", pour oublier et pour ne pas penser aux conséquences. L'apathie par déshumanisation et désensibilisation avec irresponsabilité. Et pourtant, il est rattrapé par les brimades de ses collègues et supérieurs (à son retour de chez Morton, à la morgue et même Joshi). Après ses péripéties, il trouve un semblant d'accalmie à Vegas, en particulier avec la chanson de Sinatra (très à double sens). Ici il pourrait bouillir comme dans le navire échoué, ou chez Ana, alors qu'il est face aux statuettes de Deckard, à la photo de Rachel et même à proximité de Deckard lui-même. À ce moment il se croit être le fils de Deckard encore, et pourtant que fait-il ? Une sieste sur une chaise longue, avec Joi qui se balade dans la pièce en observant les microcultures de Deckard ! Il roupille ! Je crois que c'est à ce moment qu'il pense goûter au bonheur, dans son ersatz de rêve américain momifié (d'ailleurs dans Vegas, le nombre de détails est important, et à importance, que ce soient les toiles ou les statuettes chinoises - des répliques miniatures de celles de Qin, ou des statuettes Han ?).

EDIT (21.10.17) : Quelque part, concernant sa fonction, K ne se limite pas au comportement prédictible de Blade Runner. Il est curieux, mène une enquête assez approfondie (même si elle est biaisée par ses propres désirs). C'est un chasseur de primes qui se comporte comme un policier, un zèle qui rejoint la volonté d'avoir un métier plus honorable ? D'ailleurs Joshi dans l'appartement, quand elle dit que K est différent de ses semblables : les réplicants, ou les autres Blade Runners ? Sur le fait qu'il se comporte comme un humain flic ?

Ana a essayé d'exister au travers de la propriété, du bien au sens matériel durant l'enfance, quitte à souffrir de la cruauté des autres enfants, si on met de côté le fait que ce soit un objet, la façon dont elle le protège en le mettant à l'écart et à souffrir sans jamais pouvoir le retrouver fait un parallèle avec l'attitude de Deckard pour la protéger elle. Puis au travers de ses rêves et de son imagination, elle s'évade un peu comme K qui veut rêver un peu d'une vie simple et normale (même s'il fait son cynique avec Joi aux archives ADN - ici encore clin d’œil aux Andros), et enfin elle existe en donnant d'elle, à la fois de son imaginaire et de son passé aux Réplicants. Je n'étais d'ailleurs pas sûr de la raison de ses larmes lors de son entrevue avec K, ça aurait très bien pu être de l'empathie. Il y avait de la beauté dans cette triste situation, et la tristesse n'était pas feinte.

EDIT (16.10.17) : j'allais oublier aussi, comme rappelé plus haut sur Luv, Ana chérit sa liberté, et reste contractuelle de Wallace sans être sa subordonnée.

A propos de larmes, BR 2049 exporte l'imagerie de l’œil de BR : les Nexus 8 et autres (peut-être pas les Blade Runner, vu que K ne vérifie pas lui-même dans un miroir, mais peut-être par peur d'être déçu), Morton porte des lunettes sauf en combat, le coup de l’œil arraché comme preuve, (une allusion à l'ail ? j'aurais plutôt pensé aux oignons) d'ailleurs pour se préserver Freysa s'est arrachée le sien (mais elle est toujours dans la base de données des recherchés au début du film), l’œil implacable du robot-tester, la vision de Coco mourant l’œil inondé de sang dans ses soubresauts, évidemment Wallace le cyborg aveugle avec ses faux yeux (de même qu'il croit avoir des millions d'enfants, il croit qu'il peut voir avec ses dizaines d'yeux), l'appareil binoculaire de Stelline, les pleurs de rage, souffrance, avec refus d'empathie, les statues meurtries ou les yeux fermées, et enfin la Joi géante aux yeux noirs sans pupille.
Yeux noirs ou fermés ou factices = en fait esprit fermé sur le monde ?


Le film n'est pas du tout dénué d'humour j'ai trouvé, la scène avec le Dr Badger et les mentions de vrais cheval et chèvre (très gros clin d’œil aux Androïdes), et pass vers les colonies (un rapport avec le roman Blade Runner 2 ?). Après, je sais pas si j'ai pas un peu trop cherché, mais Badger, le blackout, le clin d’œil avec le biogénéticien spécialiste des serpents de BR... Ça m'a rappelé un vieux meme d'avant Youtube. Badger, Mushroom, Snake. Bon là je suis peut-être vraiment allé trop loin xD
Sinon la scène où Deckard trouve l'excuse pour se reposer "I like this song" ou le coup du chien alcoolo. ("c'est un vrai ?" hum rapport avec la polémique sur Deckard ? clin d'oeil aux andros sur l'animal de Deckard ?), ou chez Wallace "il ne restait que le papier! vous vous rendez compte?!" et les "photos de bébé"...

Aussi scènes très dunesques : la mise à mort de la réplicante (rapport avec la scène de la ventouse cardiaque du film de Lynch), la deuxième lame de Luv (combat avec Jamis, et Feyd-Rautha), la tête de statue décapitée à un seul œil à Vegas (ça m'a rappelé Dune, principalement les Harkonnen, mais je ne saurais dire d'où... Le film ? Dune 2000 ? Emperor ? De toute façon c'est une sorte de décors à la Fritz Lang mais devenu décadent). Sans parler du test dans la cellule. "Je ne connaîtrai pas la peur..."

EDIT (16.10.17) :
j'allais oublier l'archiviste de Wallace, qui sur le coup m'avait fait penser à un guildien...


EDIT (20.10.17) :
honte à moi, que dire de la dent, ou bien en cherchant un peu le drone qui ressemble à un ornithoptère....


EDIT (21.10.17) : Raahh bon sang je m'en veux de ne pas y avoir pensé plus tôt, honte à moi ! Mais ***** l'intrigue elle-même est dunesque !!! La "réanimation" de Rachel est directement à mettre en rapport avec le procédé de fabrication de gholas par le Bene Tleilax ! Même le dilemne de Deckard face à cela est identique à ce qui pendait au nez de Paul à la fin du Messie de Dune. Le fait que Rachel et Chani aient été jouées toutes deux par la même actrice, Sean Young, absolument pas une coïncidence ! La mort de Rachel non plus. La présence de "jumeaux", une qui décède et l'autre qui "disparaît"... À force de trop vouloir penser à Dick, j'ai zappé les liens herbertiens gros comme une maison !

Je m'attarde encore sans doute sur des détails, mais au début, dans la poussière et la neige, K porte son manteau toujours fermé, mais petit à petit le laisse ouvert, jusqu'à tendre la main pour recueillir des flocons et à la toute fin s'allonger s'offrant au ciel. Une façon de parler d'ouverture d'esprit ?
D'ailleurs, comme je disais pour l'inversion des rapports de hauteur, le drone de K s'active vers la hauteur contrairement au drone des hommes de Wallace qui sort du bas de la voiture, K lance son attaque d'en haut, puis dans la voiture sort de l'eau pour maintenir Luv en bas. Une façon de s'élever ?
Quand il arrive à San Diego, il est abattu et ainsi mis "au niveau" des maraudeurs, rebuts de la société urbaine ? Descends au fond de la carcasse du navire ?
La neige est-elle à la fois un objet de fascination, et un symbole du froid, ce monde froid où les hauts fourneau ont cessé de fonctionner ?

EDIT (20.10.17) : ça fait un peu cliché, mais la rhétorique de la parentalité et de la famille est omniprésente, autant que le rapport au divin du contrôle total et absolu, et certains personnages peuvent être identifiés ainsi :
Freysa est une "mère", dans le sens où elle a beaucoup de sollicitude et de compassion dès qu'il s'agit d'enfants, voit ainsi ceux qui la suivent, et cherche à leur montrer la voix en les incitant à se battre pour leur liberté; comme je l'ai dit, elle n'est pas sans défauts : elle a peu d'empathie pour les adultes.
Joshi peut être également considérée comme une "mère", par l'attitude protectrice qu'elle a pour K tout en étant autoritaire - d'ailleurs Luv ne s'y trompe pas en lui parlant de K lors de leur confrontation, "good boy" en VO.
Deckard est évidemment une figure de "père", sur la façon dont il interroge K (comme à un enfant sur ses leçons, même avec ironie et sarcasme, à propos de la citation de l'Île au trésor ou sur le mensonge - à mettre en parallèle avec Wallace qui semble très au fait des "imperfections" de Luv en particulier concernant son attitude et ses mensonges, car par moment ce dernier montre de l'exaspération), il est évident qu'il croit lui-aussi que K est son fils, d'où sa surprise à la fin, et sa sollicitude pour K. Mais une autre preuve de sollicitude est à mettre en opposition avec une situation similaire concernant Joshi : au début, quand K saigne, elle le réprimande bien qu'elle note la blessure, tandis que Deckard - qui la lui a infligée - lui tend un chiffon.
L'esclavagiste et Wallace peuvent être considérés comme figures paternelles autoritaires (en plus de figures paternalistes autoritaires).
Luv de par la nature complexe de ses rapports avec Wallace est bien une "fille", de même qu'Ana avec la mention de son passé et ses souvenirs également une "fille".
Pour K, c'est un peu plus difficile à cerné, en fait, tout comme Joi ils sont un peu hors-système à ce sujet, et quelque part, la quête de K est aussi de se chercher à trouver une place en tant que "fils". Joi n'est pas une "fille", car seulement aux yeux de K, elle est un produit, dont seule Luv fait mention de sa "filiation" à Wallace d'abord de manière neutre puis avec un sarcasme morbide. Joi soutient l'idée d'un "Joe-fils" à K, pour le rendre unique, mais, et c'est peut-être une des leçons du film, après avoir compris est-ce vraiment important cette quête ? K ressort du système et rejoint Joi, il n'est pas plus un "fils" qu'elle n'est un produit.
Mariette pourrait aussi être une "fille", mais à l'origine vue comme au plus bas de la société (à peine plus qu'un produit), elle s'intègre dans la révolution, car à défaut d'être unique pour K, elle devient une des "filles" de Freysa.
J'hésite concernant Morton. À la manière de Deckard, il a vécu reclus, s'attendant un jour à être traqué, il se bat pour survivre, mais quelque part il semble résigné, là où Deckard fait éclater sa rage sur la tête de K. Peut-être que Morton, en plus du rôle qu'il a tenu - la gestion de l'accouchement et de la dépouille de Rachel - est aussi un "père" à sa façon. Le court métrage 2048 abonde beaucoup en ce sens.


Enfin, j'ai trouvé intéressant la mention de l'ïle au Trésor (chasse aux chimères et mensonges de pirates ?), et maintenant va falloir lire Feu Pâle de Nabokov.

EDIT (16.10.17) : c'est quelque chose de récurrent dans les univers dystopiques et en particulier cyberpunk, on voit principalement l'appareil exécutif (dont K et Deckard sont les maillons terminaux), mais si l'appareil législatif on peut le deviner avec les manigances de corpos, l'appareil judiciaire est inexistant. Pas de procès (de K., huhu) donc.

EDIT (21.10.17) : Enfin, et je pense que ça va clore mes modifs, il y a un passage entre deux eaux (sans jeu de mots), quand K perd connaissance et se retrouve sur un brancard avec à ses côté Mariette, puis un fondu des flammèches du foyer vers les spinners de Wallace de retour à LA. Le doute sur la réalité est typiquement dickienne, et laisse une porte ouverte sur une remise en question de tout le film. C'est assez étonnant, KD6-3.7, ça fait matricule de police mais également matricule militaire. Et si K n'avait jamais été Blade Runner, mais en fait un soldat, blessé grièvement sur un autre monde (Mars ou Calantha) ? Le nombre de coups portés à la tête (mais c'est peut-être aussi une allusion à la souffrance de Mercer lors des séances d'empathie des Androïdes) chez K est assez énorme, que ce soit par Sapper, Deckard, ou Luv... Et si ça reflétait un état de choc, où seul le dit moment trouble du film est en fait le seul réel moment de conscience, perdu dans le désert rouge ? Que tout aurait été des projections de "K" ? Sapper, Freysa et les autres, y compris Mariette auraient été dans son unité, ou qu'il aurait rencontré auparavant. La scène dans le lounge serait le reflet de la fragmentation de sa mémoire, et s'il voit Freysa sans son oeil malgré la présence de celle-ci dans la base de données de la police de LA, ce serait logique, sans doute qu'elle a été blessée à l'oeil, comme Morton. Confronté à l'horreur de la guerre, il préfère s'imaginer Blade Runner, car même si c'est pas top, c'est plus classe que chair à canon sur un monde vide pour des conflits qui le dépassent. Mariette était peut-être son binôme, sur laquelle il pose des désirs en même temps que le fantasme d'une Joi sentiente. Il a peut-être entendu parler de Deckard, et vu Ana aussi. Peut-être même que finalement Deckard a été arrêté et exécuté à la télévision (la techno est alternative à l'image des cabines téléphoniques au siège du LAPD), donc il n'aurait pas inventé l'image de Deckard. Peut-être qu'au fond, le monde est encore plus sombre que dans le film, qui lui est un ensemble de divagations d'un pauvre soldat à l'agonie. Ça aurait été du Dick tout craché.



Sinon, j'adore la patte artistique, visuelle et sonore (rien qu'écouter la BO apporte encore des frissons), avec synergie, mention spéciale à l'ensemble de la scène devant la berge (grosses sensations quand on voit au travers de Deckard la voiture de K repasser au dessus du transport après avoir neutralisé les deux voitures d'escorte, entre la vision dans le flou de la vitre sous la pluie, le bruit de la voiture, le synthé qui crie... raaaaaaah).
Y a également beaucoup de choses à dire là dessus, mais non seulement j'ai déjà beaucoup trop écrit, mais en plus, je n'ai pas les mots pour décrire.

Pas grand chose à dire sur les acteurs, pas de surdimension de tel ou tel acteur, chacun joue juste, vraiment nickel, ça aurait été quand même intéressant de voir ce que Wallace joué par Bowie aurait donné.

EDIT (16.10.17) : ce ne serait pas vraiment rendre justice que de dire qu'il "n'y a rien à dire", en fait "il n'y a rien à redire" plutôt, car les acteurs endossent si bien leur personnage que je n'arrive pas à en imaginer d'autres à leur place (même pour Bowie, car j'ai trouvé Leto très bon)

EDIT (27.10.17) : Dans le film, plusieurs fois on assiste à une mise en forme de "voix off" : souvent si on entend un personnage parler, même en plein dialogue, la caméra se focalise sur l'interlocuteur, pour capter ses réactions. C'est notamment le cas par exemple du premier dialogue entre K et Joshi dans le bureau de cette dernière : l'importance est mise sur le doute, les émotions de K, en particulier quand il s'agit de réagir à l'ordre de "retirer" un enfant (qui, ironiquement, ne l'est plus depuis longtemps, serait-ce ainsi un début de doute sur chaque cible qu'il a eu à retirer, même si les réplicants sont mis en service sous une forme adulte ?). Par opposition, le second dialogue entre ces personnages dans le bureau de Joshi, l'attention est portée sur Joshi, qui ici cherche à déceler le doute en K, et le mensonge.

J'ai eu l'impression que Villeneuve essayait parfois de "briser le 4e mur" dans des situations et le cadrage : lors de l'entretien entre K et Luv dans les locaux terrestre de Wallace Industries, au moment d'ouvrir le coffre contenant les enregistrements partiels sensibles, si la porte se bloque, et c'est Luv qui la déverrouille avec force, on saisit bien qu'il s'agit de montrer que Luv est bien plus qu'une simple "femme de bureau", mais qu'elle est également douée d'une force exceptionnelle, et donc aux attributions plus larges qu'a priori. Cela dit, même si la réaction de K contre le grincement de la porte métallique est bien évidente et logique, je l'ai vu un peu comme un "cette scène est voulue et ça fait mal aux oreilles, surtout avec l'ambiance sonore du film, mais, vous les spectateurs, je compatis !" de Villeneuve !

Il y a une autre scène où K réagit, mais où le cadrage ne le montre pas avec insistance : c'est quand il rencontre Ana, et celle-ci lui demande de s'assoir sur le tabouret devant le scanner de rêves. Avant que celui-ci ne le fasse, il reste debout, penchant légèrement la tête avec perplexité à côté de l'appareil. Mais le détail est que la tête de Gosling est amputée à l'image ! Du genre "ouais, je sais ce que vous allez vous dire, c'est quoi ce truc ?! Comment ça marche ?!"

Ensuite, durant les plans suivants, on voit une certaine dichotomie sur le placement des personnages Ana et K, et leurs reflets sur la vitre de la bulle. Car si, durant le plan sur K, le visage de celui-ici est superposé au reflet du visage d'Ana, ceci étant peut-être un indice pour la suite concernant la nature du rêve souvenir, lorsque la caméra s'attarde sur Ana, le reflet de K est décalé par rapport à elle, comme s'il se trouvait par dessus l'épaule de celle-ci. On pourrait se demander si c'est une façon la dualité entre ces personnages, sur le doute concernant les rapports entre K et Ana, ou comme une façon de dire que K serait une forme d'hologramme pour Ana, d' "ange protecteur", un peu à la manière de Joi par rapport à K. Ce dernier parallèle se fait plus insistant si on considère également la scène des archives ADN, où K utilise la machine, se présentant tout comme l'appareil d'Ana, sous une forme similaire à un microscope binoculaire, Joi se déplaçant autour de lui, de façon fantomatique.

Je vais chercher loin, mais une chose qui m'a un peu également suscité au questionnement c'est le choix du nom d'Ana Stelline. Si la racine stell- pour stellaire sans doute avec un suffixe -ine (comme pour susbtance) ou -in +e dans le sens d'inclusion, peut faire penser à deux choses : soit c'est avec ironie concernant le fait qu'elle soit clouée sur Terre et ne puisse partir dans l'espace, soit c'est qu'en fait dans toutes les voies empruntées par l'humanité s'il y a une étoile, il s'agit bien d'elle ; le choix même du prénom est intéressant. En effet, habituellement le prénom Anne ou Anna porte deux "n", or ici un seul. Serait-ce des initiales ? Ou similaire ? Le "n" étant graphiquement un pont, entre deux "A" (d'ailleurs en anglais familier, le "and" est souvenu utilisé sous le raccourci "n"). Mais maintenant quels A ? "Animals" et "Androids" ? À mettre en rapport avec la réflexion de K plus tôt devant Joshi, sur le fait que ce qui naît a une âme ?

Pour appuyer la transformation de Mariette, j'ai noté un détail intéressant : jusqu'à la nuit d'amour avec Joi et K, son maquillage est exagéré en particulier pour ses yeux, détail que j'associerais avec sa condition de prostituée. Mais au contraire de Priss dans BR qui utilise un aérographe pour accentuer ce maquillage, on retrouve Mariette, après Las Vegas, avec un maquillage discret, je dirais presque "normal". Au delà de son appartenance au mouvement de Freysa, dont on sait dès sa première intervention sa participation (vu que c'est Freysa qui lui ordonne ainsi qu'à deux de ses collègues, d'espionner K), je pense qu'il s'agit du fait que Mariette veut montrer qu'elle est femme avant tout, avant d'être l'outil-prostituée pour lequel elle a été conçue. On pourrait opposer que le scénario laisse à penser l'imminence de l'action de révolte du groupe de Freysa, mais rien n'en est moins sûr, car si Freysa tient son discours messianique, dunesque encore ici, elle n'a pas du tout l'air de connaître ni le nom de l' "enfant", si son identité, ni sa localisation. Prendrait-elle le risque de lancer des opérations alors que ses propres mots n'ont pas nécessairement de substance apparente pour le réplicant lambda ? Dans le film, nous avons l'impression d'une sorte de dénouement mais c'est parce que par le biais de K nous avons connaissance de ces données. Si K erre ensuite dans les rues de Los Angeles, sans réel but, avant de tomber devant la géante Joi, (j'allais dire la "géante bleue", peut-être n'est-ce pas un hasard ?) n'est-ce pas parce K n'est pas sous les ordres de Freysa ? Qu'il a pu quitter la base des réplicants révolutionnaires sur la base d'un compromis (la promesse de neutralité dans le conflit futur) ?

Il y a une idée sur laquelle je pense extrapoler, mais qui me plairait d'autant plus si c'était voulu par l'équipe du film. C'est l'idée de "remettre à leur place" une bonne partie de critiques de cinéma et autres journalistes, quelque part, concernant l'utilisation abusive d'un terme inadéquat : le mot "poésie". Personnellement, ça m'énerve à chaque fois que j'entends ou lis quelqu'un parler de poésie à propos d'une œuvre qui n'en est pas une. La poésie est une forme d'expression artistique, dont je conçois le recours métaphorique dans le but d'exprimer quelque chose. Un peu à la manière de dire qu'un film est similaire à une toile, en expliquant les qualités visuelles de celui-ci. Mais non seulement lorsqu'il est question de parler de "poésie" souvent le critique s'en tient là et ne développe pas plus ou peu les raisons d'une telle métaphore, mais en plus c'est de plus en plus un recours systématique, notamment dans des titres accrocheurs, comme pour se donner un genre. Et régulièrement, le terme est utilisé dans un sens positif, voire dithyrambique. Là où je trouve que soit BR2049 montre bien que le terme "poétique" lui est approprié, soit qu'au contraire il faudrait laisser tomber ce mot, c'est dans l'utilisation à deux reprises (en plus de la citation de l'oeuvre elle-même) du livre Feu Pâle de Vladimir Nabokov. Les deux scènes du référentiel sont sinistres, lugubres et oppressantes, et c'est de la poésie. Est-ce que poétique est ici semblable à une idée positive ? Absolument pas. Parfois, je me demande si aujourd'hui, on évite d'employer un terme innocent et pourtant si plein de significations : celui de "beauté". Il y a de la beauté dans la tragédie de Joi, dans la loyauté et l'amour de Deckard, dans l'éveil de K. De même dans certains choix photographiques, ou musicaux comme le "Mur du Pacifique". Il y a beaucoup de malaise et d'horreur dans ce film, ce qui rend les rares moments de beauté encore plus significatifs et percutants. Je n'aime pas les mondes trop chatoyants, où les coups d'éclats de bonnes actions résonnent autant qu'un coup d'épée dans l'eau; de même pour les mondes totalement sombres où chacun capitule devant son fatalisme. De plus, si le scénario de BR2049 est simple, il n'est jamais simpliste, on se moque presque du fameux "twist" en lui-même : on n'est pas là pour jouer au détective pour deviner tout au long d'un film qui est le coupable. L'aspect "polar" n'est qu'une excuse car K et Deckard sont à l'interface entre le monde régi par les humains et celui subi par les réplicants. Je ne suis pas allé autant de fois revoir BR2049 pour "deviner le méchant" d'autant plus que le film ne prend pas en traître comme le ferait par exemple Agatha Christie qui faisait de la rétention délibérée d'informations dans ses romans jusqu'au moment clé du "déballage" lors de la confrontation publique avec le coupable. Il est très facile de deviner, et ce dès le premier visionnage, le "twist" ou retournement de situation de BR2049. Mais d'un point de vue de compréhension du spectateur, en quoi est-ce important ? Ce n'est pas ça qui fait la force et l'intérêt d'un tel film. Mais c'est davantage les réactions des personnages autour de l'enquête et de son dénouement. Comment ces personnages voient l'enquête elle-même, et ses issues.

Il est à noter aussi que j'ai remarqué qu'en même temps qu'est posée la question "qu'est-ce qui est vrai ou faux ?" concernant les humains, les réplicants, l'IA, il en est également au niveau du langage. Dans beaucoup de films, les dialogues des personnages sont trop portés dans la spontanéité ou l'honnêteté dans le but de caractériser les personnages avec les mots qu'ils emploient. Et souvent s'il y a mensonge, c'est dans le but narratif de cacher un "twist" ou de caractériser un "méchant" ou un personnage ambigu qui sert le dit "twist". Dans BR2049, tout le monde ment, ment aux autres, ment à soi-même. Et chacun a une attitude particulière attachée au mensonge : liée au but de ceux-ci et à la façon dont ceux-ci sont prononcés.
Il est d'ailleurs amusant que Deckard fasse la morale à K sur le mensonge. "Don't lie. It's rude." De la même manière qu'un scénario où tout le monde dit la vérité et où les mensonges sont facilement identifiables, est assez simpliste au final - et quelles qu'alambiquées soient ses tournures - , avoir un scénario où tout le monde ment et est capable de mentir, les déclarations honnêtes et spontanées sont autant rafraîchissantes que le doute permis sur certaines tirades. "Cela fait authentique". Car c'est ainsi qu'est le monde, plein de faux-semblants où l'honnêteté est une qualité et non un acquis.


EDIT (04.11.17) : Après avoir relu la Vérité Avant-Dernière de PKD, j'ai repensé à la voiture de K. C'est une Peugeot immatriculée s99821 (je ne sais pas la signification de celle-ci tout comme les identifiants des deux "jumeaux" dans la BDD ou le numéro du box de Rachel à la morgue). Ainsi, après Vegas, quand K est recoutûré (contrairement à avoir été recollé après avoir tué Morton), c'est bien sa voiture avec deux autres qu'on voit à LA se poser près d'une église avant le plan avec Mariette et la future confrontation avec Freysa. Il me semble d'ailleurs qu'il devait être encore comateux dans la voiture (peut-être dans le coffre ^^) car sur la scène de l'atterrissage on entrevoit la géante Joi, et je pense plutôt que lors de son regard dans le vide après avoir caressé le visage de Mariette, il pense à sa Joi et non à celle-ci. Enfin bref, sinon en rapport aussi avec la voiture, c'est une Peugeot certes, mais le rapport avec la Vérité Avant-Dernière ? Dans ce livre, il est fait mention d'une escroquerie planétaire autour du personnage de Talbot Yancy. Talbot est peut-être une contraction de Tall et robot comme les solplombs pour soldats de plomb. Mais Talbot était aussi une marque de voiture, rachetée par... Peugeot ! La boucle est bouclée !!! :D
Autre petit détail fugace, lorsque K retourne dans sa voiture, faisant son rapport à Joshi par l'intercom, on voit les portraits de l'équipe de réplicants dont faisait partie Morton, et tous sont poursuivis pour meurtre sur leur fiche. Tous sauf... le dernier. Dont le seul crime est d'être réplicant. Qui parlait de "justice" expéditive dans un tel monde ?


EDIT (16.11.17) : Et si... En fait encore une fois, K avait tort ? Qu'Ana Stelline n'était pas la fille de Deckard, mais bien "seulement" une femme humaine douée de beaucoup d'empathie qui aurait pleuré à la vue du passé d'un pauvre enfant battu par d'autres ? Et si la scène post-fin serait elle appelant Wallace pour faire dégager Deckard, qui dans son délire de frustrations d'un père à qui on a enlevé son enfant 30 ans plus tôt l'effrayait. On verrait les hommes de Wallace rappliquer pour envoyer Deckard incrédule dans les colonies, avec peut-être même une Luv n°2 sortie du placard, puis en dernière scène Ana qui téléphone à ses parents sur Mars pour leur expliquer la situation "qu'un fou furieux ait pu trouver son labo, et qu'il fallait peut-être renforcer la sécurité"...

Pour ce qui est de la version au fait, je préfère largement la VO (en 2D, la 3D n'étant pas si importante que ça), les doubleurs FR ont fait un bon boulot, mais je leur reproche une erreur de traduction : ils auraient du garder le terme "special" et non rajouter à l'ambiguité du film. Car je parie que les scénaristes ont pris ce terme avec escient : en rapport avec la connotation principalement péjorative mais ensuite méliorative du terme dans les Androïdes. En fait, rien n'a été choisi au hasard dans ce film.

Je crois que je pourrais détailler chaque scène et y chercher un symbole, et je parie que non seulement il y en a à chaque scène, et que je n'arriverai jamais à tout noter. Jamais je n'ai autant attendu le commentaire audio à ce sujet. Attendre février va être dur, très dur.



Le film joue constamment sur la dualité et l’ambiguïté de l'image, du son, des dialogues, des situations. A l'image de sa photographie, il est tantôt lumineux, tantôt sombre, trouble, opalescent, ondulé, rigide, poussiéreux, granuleux, rouillé, cabossé. Mais jamais clair. Jamais unidirectionnel. Toujours à sautiller, pivotant, à cloche-pied, que l'on suit d'abord avec impatience et à force de détours et de doutes, on fait d'un tour de pâté de maisons un marathon. Face au film qui se retourne à la fin avec un air goguenard avec pour sous-entendu : "Alors ? Elle était bien la balade ?", on peut très facilement se lever furieux et le traiter d'escroc en criant "On m'a promis les étoiles et on n'est pas allé plus loin que la supérette où je vais tous les jours pour acheter à bouffer !". Et ce BR 2049 qui continue de nous toiser en silence le sourire en coin. Car si nous nous débattons dans les méandres lumineux et le bruit comme des lucioles effrénées, à chaque coin de rue nous pouvons nous arrêter pour penser, réfléchir, ressentir, et choisir de lever les yeux pour les voir, ces maudites étoiles. Car elles étaient là tout le temps.

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