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Dossier

Le RPG au service de la fiction

Introduction

Récit oral et fresque murale, puis théâtre, littérature et opéra, et enfin radio, cinéma, TV et JV...
Ces media sont apparus au fur et à mesure que la technologie et le public évoluaient pour les rendre possibles et viables.
Même si un individu a généralement des affinités plus fortes avec certains de ces media qu'avec d'autres, il ne viendrait à l'idée de personne de dire que le cinéma est supérieur à la littérature ou autre comparaison du même type. D'ailleurs, aujourd'hui, tous ces media coexistent sans hiérarchie, les derniers n'ayant pas remplacé les premiers.

Ce discours n'a pas forcément la même évidence pour les jeux des différentes générations de consoles. En effet, la technologie évolue tellement vite que l'expérience de jeu en 2016 n'a plus grand chose à voir avec celle du milieu des années 90. La technique d'il y a 20 ans est même, le plus souvent, un repoussoir pour les jeunes générations, avant même d'envisager de se plonger dans le jeu. Essayez d'imaginer un pré-adolescent d'aujourd'hui se plonger dans les classiques du cinéma muet... Pourtant, il est souvent fait mention dernièrement du déclin du J-RPG, ce qui semble indiquer que la corrélation qualité-technique n'est pas aussi immédiate que cela pour ce type de jeux, qui ne reposent pas en premier lieu sur leur réalisation technique. Il ne s'agit pas de remettre en cause l'apport des nouvelles technologies, dont la valeur dépend avant tout de la façon dont elles sont exploitées. Elles offrent plus de possibilités aux développeurs et, en principe, n'en retirent aucune, donc les jeux doivent pouvoir être aussi bons voire meilleurs qu'avant. Seulement, d'autres facteurs entrent en compte dans la conception d'un jeu, en particulier des facteurs humains. Un jeu, comme n'importe quelle œuvre, ne pourra jamais être réduit à une performance exclusivement technique. Que retient-on d'un jeu qui nous a profondément marqué, 10 ans après ? Les performances du moteur graphique, la finesse des textures, l'absence d'aliasing... ? Ou des scènes surprenantes, des personnages attachants, des ennemis fascinants, un univers dépaysant... ?

S'intéresser à l'industrie du J-RPG et son évolution au cours des décennies est une approche possible pour comprendre son déclin, ou du moins sa nouvelle orientation. Une autre approche envisageable est de réfléchir à ce qui explique le prestige de certains J-RPG de l'époque dorée, l'attachement qu'on éprouve à leur encontre, afin d'identifier ce qui manque aux J-RPG plus récents. Parmi les media cités au début, on peut tous nommer quelques œuvres avec lesquelles on entretient une relation particulière. Dans certains cas, on ressent même le besoin vital d'y revenir de temps en temps, comme pour se ressourcer, au-delà de la simple nostalgie. Ces œuvres se détachent à nos yeux parce qu'elles nous parlent personnellement, comme si un dialogue s'était instauré entre elles et nous. Il n'est pas rare qu'on soit incapable d'expliquer pourquoi ces œuvres nous ont marqué de cette façon. Ce sont des œuvres qui ont contribué à forger notre personnalité et notre vision du monde. Elles peuvent même parfois étendre notre panel d'émotions. Et là, qu'il s’agisse d'un roman, d'un jeu ou d'un film, cela ne fait aucune différence.

On ne va pas discuter de la noblesse relative des jeux vidéo comparée aux autres media. La série TV a été longtemps méprisée par le milieu du cinéma, qui a lui-même été pendant au moins quarante ans considéré comme une attraction purement foraine. Bref, laissons ce débat stérile à ceux qui ont décidé d'en faire leur combat.
Le point commun de tous ces media est qu'ils peuvent servir de supports pour développer une fiction qu'on résumera, pour schématiser, par une histoire composée de scènes, faisant intervenir des personnages dans un univers donné. Raconter une histoire permet à l'auteur d'aborder avec un regard personnel certaines thématiques, et de s'adresser subtilement à son public. Évidemment, pour pouvoir atteindre la dimension intime d'un grand nombre d'individus d'âges, cultures et époques différentes, l'auteur doit exploiter judicieusement tous les moyens offerts par le support utilisé pour atteindre un langage universel. Et sur ce point, le RPG est la catégorie de JV la plus favorable pour raconter une histoire, même si on peut trouver des éléments fictionnels dans les shoot 'em up et les jeux de baston (plus rarement dans les jeux de foot, quoique...).

Ce à quoi le public assiste peut dans ce cas dépasser la simple émotion, quelle qu'elle soit, et le cadre du support concerné. Dans ce cas précis, l'œuvre va bien au-delà du rôle pour lequel on a payé. Il ne s'agit là aucunement d'une manifestation d' « Art », terme employé obsessionnellement par de nombreuses personnes bien incapables d'en donner une définition claire et complète. On serait plus proche de la « catharsis », une purification des émotions par la fiction. L’œuvre, fruit des entrailles de son auteur, se détache entièrement de la vision qu'en a ce dernier pour devenir un objet autonome, que le public peut s'approprier entièrement et le mettre en relation avec son propre vécu, sa propre vision des thèmes abordés et la faire évoluer ou résonner avec. Voilà comment atteindre l'intime chez le plus grand nombre. J'en profite pour citer trois films qui me viennent à l'esprit sur ce sujet passionnant. The neverending story, ou L'histoire sans fin, a certes un peu vieilli (kitch alert !) et s'adresse à un public assez jeune mais explicite assez bien l'importance de l'interaction entre le lecteur et l'histoire lue, son investissement et la satisfaction qu'il peut en tirer. El espiritu de la colmeña, ou L'esprit de la ruche, est nettement plus exigent et d'une intelligence confondante à propos du rôle des fictions dans la construction d'une personnalité et sa vision du monde. Et enfin The fall, qui orne l'en-tête de ce dossier, est essentiellement célèbre pour ses sublimes décors naturels. Il montre surtout un dialogue entre une jeune fille et un adulte, sans point commun et a priori rien à se dire, rendu possible grâce à la fiction. Leur imaginaire sert de catalyseur pour communiquer et leur permet de laisser derrière eux une période douloureuse de leur existence (soit une définition de la catharsis à peu de choses près).

Et c'est cet aspect en particulier qui semble avoir été délaissé par les studios japonais au profit d'une course-poursuite technologique perdue d'avance face aux studios nord-américains. Comment des moyens en constante augmentation ont conduit à un effondrement de l'ambition des développeurs ? On peut, au passage, établir à ce sujet un parallèle avec le débat autour de l'apport de la 3D au cinéma, qui a certes permis à Gaspar Noé de filmer une éjaculation en 3D, mais n'a rien apporté, ou presque, en terme d'univers fictionnel ou de mise en scène. L'iconique Final Fantasy VII transpirait l'ambition de toutes ses pores, prenant souvent le risque de se casser la gueule, et se vautrant parfois méchamment, mais il essayait des choses au-delà des recettes habituelles et on devine aisément que les développeurs ont cherché à faire le meilleur jeu possible, même si parfois cela interfère avec le cahier des charges imposé pour rentabiliser le développement du jeu. C'est vrai bien sûr pour les cinématiques, bluffantes pour l'époque, mais également pour l'histoire, les personnages, l'univers ou encore certaines scènes. On peut légitimement se poser la question des bonnes et des mauvaises raisons du succès d'une œuvre comme FFVII. Néanmoins, le fait d'essayer sincèrement de sortir le public de sa zone de confort, sans rechercher l'originalité pour l'originalité, est un prérequis pour le marquer durablement. Cette volonté semble s'être progressivement étiolée au fil des années, malheureusement.

Par quels moyens, en particulier les moyens propres aux jeux vidéo, certains J-RPG subliment-ils une fiction qui s'inscrit durablement dans les mémoires de ceux qui y ont joué ? Je vais m'intéresser ici à cinq J-RPG réputés pour leur dimension fictionnelle (entre autres), même s'ils sont parfois clivants sur ce sujet. Ils datent tous de la même période, aux alentours de la deuxième moitié des années 90. À chaque fois, je vais me pencher sur un aspect en particulier de la fiction dans le RPG, et je vais analyser en détails quelques scènes pour étudier ce qui fait leur réussite et leur importance dans le jeu. Parfois, l'analyse d'un seul screenshot donne accès à une information. Le gameplay et les graphismes seront donc, au mieux, périphériques, et les textes seront remplis de spoilers ! Ils risquent même de n'avoir guère d'intérêt pour ceux qui n'ont pas déjà fait les jeux en question, mais il n'est pas requis d'avoir fait les jeux récemment.

Tout ce qui est écrit n'engage que moi, bien entendu, même si parfois j'essaie de deviner les intentions des auteurs.


20/09/2016
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