Un mensuel consacré aux jeux vidéos titrait, à l’heure de la sortie : " La Touche Finale", accordant évidemment à ce monstre (commercial, aussi) tous les éloges qu’il méritait, ne serait-ce que par ses qualités techniques, impressionnantes à l’époque. Mais que reste-t-il vraiment de ce titan, aujourd’hui, alors que les épisodes suivants sont venus renverser l’exploit d’alors et que la 3D pré-calculée a, à présent, été abandonnée ? Final Fantasy IX n’était-il qu’un miracle de la mode ou bien, par-delà le temps et l’oubli, reste-t-il cet épisode parfait et "final", comme on voulait le présenter au début des années 2000?
Final au pays des merveilles
A l’opposé des trois épisodes précédents, Final Fantasy IX nous plonge dans un univers coloré et surtout joyeux : pas de passé sombre comme dans Final Fantasy VI, pas de cité polluée comme dans son petit frère, pas de "réalisme" parfois grisonnant comme dans le huitième épisode, mais plutôt des terres de châteaux, de vaisseaux volants, de voleurs au grand cœur et de courageux aventuriers.
Cependant, il n’en revient pas pour autant à cet univers qui caractérisait la première génération de Final Fantasy: on tend à la fois ici vers le conte de fées et vers cette tonalité fantasyste, originaire.
Deux royaumes se partagent pacifiquement le continent : Alexandrie (sous le commandement de la reine Branet) et Lindblum, dirigé par le valeureux Cid. Si Alexandrie est la cité des chevaliers (Brutos et autres), Lindblum est plus avancée au point de vue technologique, spécialiste en termes d’aéronefs et repaire de la troupe de théâtre à laquelle appartient le personnage principal.
Parce que Djidane (dont le nom n’a cessé de varier au fil des traductions) est bien le héros de ces péripéties : il appartient aux Tantalas, chargés par le roi Cid de capturer la princesse Grenat pour faire pression sur la reine, qui prépare vraisemblablement un mauvais coup. L’affaire tourne à la tragi-comédie lorsque Djidane est prié par la princesse en personne (qu’il trouve déjà craquante)... de l’enlever!
Ainsi naîtra une aventure qui emmènera une troupe improbable à travers ce monde, et au-delà (comme il se doit), à travers un monde varié, tant au point de vue de ses civilisations que de ses lieux, parfois villages accueillants, parfois sombres passages.
Rien n’arrête la fantaisie : les magiciens sont partout, les sentiments les plus forts déplacent des montagnes et nos héros se surpassent sans cesse pour fuir une fin toujours prête à frapper : Final Fantasy IX, à coups de baguette magique et de scènes théâtrales, nous entraîne au fond du terrier.
La princesse et son voleur
Les personnages sont à l’image de l’univers : variés, riches mais sûrement pas renfermés (je pense aux mâles des deux précédents épisodes). Djidane est un joyeux drille, séducteur dès les premières scènes, amouraché d’une princesse qui – c’est cousu de fil blanc – ne rêve évidemment que d’en pincer pour cet amant improbable, aventurier libre comme l’air. Autour de ce couple trop beau pour être faux (et dont on ne se demande finalement jamais si "ça va faire", mais plutôt "comment ça va se faire") gravite quelques âmes égarées qui découvriront dans ce riche périple - dont l’enjeu ne saurait être autre que la défense du monde - le "sens de l'existence" : le chevalier Steiner, ayant juré allégeance à son royaume, obligé de coopérer avec la "racaille" qui lui sert de compagnie, mais également Bibi, un petit magicien, semblable à ces "mages noirs" qui font régner partout la terreur, figure de l’enfant peureux mais innocent (presque philosophe) ou encore la merveilleuse Eiko, dernière survivante d’un peuple d’invocateurs, seule dans son village avec pour seuls compagnons des mogs, "sourire triste" lorsqu’elle voit s’envoler celui qu’elle apprend à chérir.
D’autres personnages viennent compléter le cortège de sentiments en mouvement : le courage et la solidarité rencontrent l’incertitude, la solitude mais c’est bien sûr l’amour qui fait office de fil rouge tout au long de l’aventure, depuis la première rencontre, sous un capuchon blanc, en haut du grand escalier.
La catégorie de l’originalité n’est pas ici de mise : les personnages ne brillent pas par leur destin personnel qu'on-n'avait-jamais-vu, par leur histoire propre-et-jamais-égalée. Ils sont en revanche des modèles d’humanité, à notre image, quand bien même ils sont des rats, des invocateurs ou des êtres humains affublés d’une queue. L’attrait de ces personnages vient qu’ils expriment des choses simples - et par conséquent communes à tous - avec force. Final Fantasy IX n’est pas une œuvre pour les analystes, c’est une œuvre destinée au cœur, aux émotions, aux larmes, au rire.
Shakespeare ( rien que pour le fait de l'écrire )
Une grande mode (et on peut se permettre de la citer puisqu’elle était contemporaine de la sortie originale de Final Fantasy IX) était de voir du Shakespeare partout, tout le temps. Vagrant Story était un jeu shakespearien (sans doute parce qu’il mettait en scène Roméo Guildenstern et Rosencranz et parce qu’il prenait place dans un pays de châteaux et de chevaliers correspondant à l’image – réductrice et par conséquent erronée – que l’on se fait de Shakespeare), et Final Fantasy IX ne manquait pas d’être lu de la sorte : à coup sûr, Kuja (le-méchant-aux-cheveux-gris) était un personnage shakespearien parce qu’il parlait un vieil anglais (l’anglais du "thou" et du "thee" n’étant pas la propriété de Shakespeare), parce qu’il voyait dans son action une belle mise en scène. Pour toutes ces raisons, et parce que je n’aurais pas la prétention de connaître suffisamment Shakespeare pour l’invoquer ici, on ne dira pas que Final Fantasy IX est shakespearien.
En revanche, la mise en scène est diabolique, et rappelle, plus que jamais le théâtre. Les dialogues sont fins et bien écrits : les personnages ont de la répartie, les panneaux proposent des jeux de mots (la RATP n’est-elle pas responsable du réseau de transport de Lindblum ? - même s’il s’agit là d’une traduction), les décors sont magnifiques et les angles variés. Certaines scènes relèvent même proprement du théâtre le plus classique: sans parler des représentations des Tantalas, la scène de la lettre repose sur les ressorts qui fondent la comédie classique (les quiproquos qu’elle suppose, ainsi que le jeu des entrées et des sorties des personnages).
Par ailleurs, certaines références textuelles sont évidentes: Cinna, par exemple (mais attention au roi Lear, qui est un fait de traduction).
Pour finir, on peut toutefois relever la variation perpétuelle des tons, du rire au larme (on rit finalement de l’échec d’Eiko, oubliant un instant qu’elle n’a jamais vu de garçon dans sa solitude) ce qui, on peut le concéder, n’est pas sans rappeler un célèbre dramaturge anglais. En ce sens, alors, peut-être que Final Fantasy IX est shakespearien, mais il faudrait pousser plus à fond l’analyse avant de se montrer vraiment affirmatif.
A titre personnel je suis persuadé que cet épisode correspond tout à fait au mot "Romantisme" (c'est le professeur de Lettres qui parle !).
Le Final final
Hironobu Sakaguchi a répété à qui voulait bien l’entendre que son épisode préféré était le neuvième, parce qu’il était celui qui correspondait le mieux à l’idée qu’il se faisait de Final Fantasy. On ne peut qu’être tenté d’essayer de comprendre ce que veut dire - excusez du peu - le père de la série.
Final Fantasy IX ne serait pas seulement un « retour aux sources », comme "on" a pu le dire (il fallait bien dire quelque chose...), il serait bien l’épisode final, l’épisode parfait qui tente la synthèse de toutes les expériences passées.
En effet, il ne s’agit pas seulement d’un épisode old school ("école" qu’on peut limiter aux cinq premiers épisodes) bénéficiant des qualités techniques d’une PlayStation au sommet de son art (oui… c’est bien d’art dont il faut parler) mais bien d’une synthèse des forces caractéristiques de la série.
Final Fantasy, c’est d’abord une histoire de combats, qu’il s’agisse de terrasser le petit (pas toujours) ennemi ou le boss (pas toujours) redoutable. C’est une histoire de lutte âpre avec un environnement hostile qui ne saurait être dompté qu’avec l’expérience et le bon équipement. Il faut gagner de l’argent et acheter la bonne épée, sinon, c’est la raclée : et ce point est poussé ici à son paroxysme puisque l’équipement est non seulement garant des statistiques des personnages, mais également de leurs capacités.
A travers les âges et les modes, Final Fantasy n’a jamais abandonné ce recours à l’équipement, pas plus que la série n’a vraiment égalisé la difficulté des combats : même si le niveau de ces derniers a été nivelé pendant le nouvel âge de la série (je pense en particulier aux épisodes VII et VIII, même si le discours est davantage indicatif que définitif), Final Fantasy IX fait renaître le mythe du combat banal qui se transforme en lutte à mort.
Qui ne s’est pas amusé à faire le compte des éléments ponctuels récurrents dans au fil de la saga ? Final Fantasy IX en propose un florilège : Cid côtoie les chocobos et les mogs (de retour en force). Les mages noirs sont de sortie, les jobs sont au cœur du système, les chevaliers dragons et la magie bleue n’éclipsent pas Bahamut ou Alexandre. Final Fantasy IX est un concentré de références aux épisodes précédent, dans la musique ("Prélude", "Prologue", mais aussi introduction à la musique des combats, sans compter la reprise du Pic de Goulg, tirée du tout premier épisode), dans ses termes (Masamune, Ultima Weapon et Climhazard – malheureusement abandonnés par la traduction française) ou encore dans ses personnages (en particulier à destination du premier épisode, avec la présence de Garland et des quatre monstres élémentaires). Bizarrement, il serait bien difficile de trouver dans les épisodes suivants une quelconque reprise d’un élément propre à ce neuvième épisode, comme si celui-ci avait de fait marqué la fin d’un cycle (le propos reste, sur ce point ouvert).
Final Fantasy IX est plus qu’un retour aux sources, c’est une fantaisie finale qui s’appuie sur des forces et des caractères accumulés pendant plus de dix ans, au fil des épisodes. Cette synthèse est marquée par la référence au premier épisode, mais c’est bien un hommage à tous les épisodes dont il s’agit. Le gameplay en est le principal témoin: il ne s’agit plus de parcourir des labyrinthes et de parler à des avatars dans des villages anonymes. Les personnages ont gagné en richesse, le monde a gagné en variété et le cheminement est définitivement plus guidé. Ce n’est pas un retour au source, c’est un couronnement.
Je me rappelle avoir dévoré cet épisode en quelques jours (nuits comprises), âgé alors comme le sont aujourd’hui les élèves à qui je demande d’être sérieux, de ne pas négliger leurs devoirs de français. J’ai longtemps cru que l’amour que j’avais porté à cet épisode était le fait d’une mode personnelle, d’un sentiment momentané.
Final Fantasy IX, qui n’a pas pris une ride, ne vieillira jamais. Il est éternel : il est toujours aussi chatoyant, ses personnages sont toujours aussi touchants, la mise en scène est toujours aussi grandiose (bien servie par des dialogues franchement réussis) et le rire succède toujours aussi souvent, et aussi vite, à la tristesse et à d’autres sentiments qui n’ont rien d’originaux mais qui sont proprement humains (c'est ce que j'ai appelé le "Romantisme").
Lorsque la scène finale s’apprête à conclure l’aventure, et lorsqu’une voix sans doute mal identifiée rend hommage à Djidane, lui reconnaissant qu’il lui a appris à vivre, n’est-ce pas après tout une conclusion à toute la série plus qu’à cet épisode en particulier ? Après le recouvrement du cristal, y avait-il encore quelque chose à ajouter ? On venait de vivre l’amour, la colère, la solitude et le doute. On venait de sauver le monde, encore une fois. On venait de revivre tout ce que cette série avait fait naître.
Apaisée, Final Fantasy venait de mettre un point final à l’aventure d’une génération. Il n’y avait plus rien à dire, sa place était auprès des dieux, auprès de Bahamut et des siens, sa place était au cœur de l’éternité qui consacre les œuvres humaines comme art.
Final Fantasy IX, haut-les-cœurs, c’était la Touche Finale!
12/11/2007
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- La synthèse de la série
- Personnages plus émouvants que jamais
- Un monde merveilleux, bénéficiant d'une bande-son et d'une réalisation excellentes
- Une mise en scène digne du théâtre
- La fantaisie que j'aime
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- Les combats ne raviront pas les partisans du nouvel âge de la série : plutôt longs, leur difficulté est variable (les partisans de l'ancienne école apprécieront)
- Le chant du cygne
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GRAPHICS 4.5/5
SOUND/MUSIC 5/5
STORY 4/5
LENGTH 4.5/5
GAMEPLAY 4/5
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