Ganbarion, c’est une petite boite japonaise de jeux vidéo qui a installé son petit nid douillet dans ce milieu autour de la seule licence
One Piece, bien connue des fans de manga. Lorsque l’on apprend de la bouche de
Nintendo, leur principal partenaire, qu’une bande d’otakus férus de bastonnade animée compte bien développer un RPG pour la Wii, nous sommes tout ouïes sur Legendra. Cependant,
Pandora’s Tower risque d’avoir du mal à se trouver une place au soleil aux côtés des deux mastodontes de la console :
The Last Story et
Xenoblade Chronicles. Le soft possède toutefois de quoi surprendre même les plus aguerris.
I know you want me, you know I want you
Dans le royaume d’Imperia, la guerre fait rage. Son principal belligérant, le pays guerrier d’Athos, ne cesse de mettre la pression sur le peuple de l’empire, entrainant famine, hausse des meurtres et des délits, pénurie des récoltes, etc. Puis, un armistice provisoire fut signé entre les deux pays. Imperia ne manqua pas, bien sûr, de fêter l’événement. Il y avait alors foule sur la Grand-Place de la capitale, agglutinée, pressée autour de cette estrade massive de marbre chair, surmontée par un cortège dansant, chantant et pétillant. Puis, sous un ciel d’un bleu d’une pureté caribéenne, une jeune fille à la voix de geai s’avance pour chanter. L’innocence caresse ses cheveux, l’amour transparait dans son regard, la volupté accompagne le moindre de ses mouvements. Elle représente la paix nouvelle, Elena. Tout à coup, dans un maelström de bruit, de douleur et de cris, la foule s’agite violemment et se disperse aux quatre coins de la ville : ils fuient la créature énorme qui vient d’apparaître dans la capitale. Aeron, héros de cette histoire, proche d’Elena et paradoxalement soldat d’Athos présent dans la foule, part secourir sa bien-aimée dans le capharnaüm ambiant. Lorsqu’il la retrouve, elle est allongée par terre inconsciente, semble blessée, mais plus étonnant, se trouve en compagnie d’une drôle de petite femme (de son prénom Mavda) aux intentions troubles et au caractère insaisissable. C’est l’enchainement : Mavda vous informe qu’Elena est atteinte d’une malédiction obscure qui la transforme en bête informe un peu plus chaque jour. Pour conjurer le sort, il faudra partir à la recherche des « chairs » des douze maîtres qui siègent dans les douze tours qui se tiennent au centre d’un gouffre gigantesque, reliées à la terre ferme par des chaines d’une longueur qui semble infinie. Cet endroit ne ressemble à rien de ce que l’homme n’ait construit auparavant. Elena, quant à elle, devra manger cette chair palpitante qu’Aeron aura récoltée pour elle si elle tient à garder sa forme humaine.
Pandora’s Tower n’est pas vraiment le type de soft que l’on est conventionnellement en droit d’attendre de la part d’un studio assez bon enfant comme
Ganbarion. Qu’on se le dise,
Pandora’s Tower est parfois dérangeant, de temps à autres très ambiguë et glauque, et il joue volontiers de ce registre quand cela le sert. L’introduction même du jeu ainsi que les quelques minutes qui suivent sont empreintes d’un certain esprit vicieux. En effet on peut penser que les développeurs, pour mieux caractériser le personnage d’Elena et lui coller une image fataliste à la peau dès les premiers instants, ont pris un certain plaisir à la montrer au joueur tout d’abord comme l’égal d’une déesse, puis successivement et dans un intervalle très court, comme une sorte de créature à moitié tentaculaire, à moitié humaine. Mais l’on reviendra volontiers sur cet aspect dans un prochain paragraphe. Retenons surtout un pitch de départ très condensé, relativement classique, mais on ne peut plus efficace. Il sera peu ou prou le même jusqu’à la fin du jeu. Rassurez-vous, la géopolitique du début ne sera qu’un fantôme en arrière-plan. Vous arpenterez simplement les tours une à une à la recherche du boss, vous lui mettrez une rouste, lui prendrez sa chair, et la donnerez à manger à Elena afin qu’au bout des douze, elle soit guérie de sa malédiction. De ce point de vue-là, et puisque
Pandora’s Tower s’en est en grande partie inspiré de toute évidence, le jeu vous réserve moins de surprises qu’un
Zelda. Fort heureusement la trame du soft, à défaut de changer d’orientation, s’étoffe astucieusement. Mais d’abord, pour bien comprendre, quelques explications sur le mode de jeu de
Pandora’s Tower s’imposent.
I was made for lovin’ you baby, you were made for lovin’ me
Pandora’s Tower, à défaut d’être un réel OVNI vidéo-ludique, possède quelques singularités bien à lui qui ont le mérite de lui apporter cette authenticité et cette fraîcheur presque nécessaires dans un genre qui se rouille un petit peu. Aeron, le héros, ainsi qu'Elena, vont vivre le temps de l’aventure en autarcie totale dans une citadelle qui surplombe la Brêche. Il semble relativement difficile qu’avec une telle unité de lieu, une quête aussi précise et aussi peu de personnages (deux principaux, un secondaire), le récit prenne un envol surprenant (c’est d’ailleurs pour cela que Pandora’s Tower est avant tout un jeu à gameplay, mais l’on y reviendra). Ainsi comme je le mentionnais plus haut, le scénario va plutôt s’étoffer, notamment par le biais d’un codex fort intéressant. Il se remplira au fur et à mesure que le joueur trouvera des écrits sur sa route, qu’il s’agisse de témoignages laissés avant la mort par exemple, ou bien de comptes-rendus scientifiques sur la faune locale, etc. Bref, le background en prend pour son grade, et le joueur ne se sent jamais trop en manque de contextualisation. Quant à la trame en elle-même, celle-ci se focalisant sur le couple de héros, les flashbacks prolifèrent, bénéficiant de la mise en scène plutôt correcte du jeu. Il s’agit toutefois, je le rappelle, du minimum syndical. Pandora’s Tower n’est pas une aventure haletante, ce n’est en rien ou presque un voyage. Au contraire, il préfère garder les pieds sur terre, et il a ses raisons.
You’re the one, for me, for me, for me, formidable
En effet, cela ne vous aura pas échappé : qui dit Japon, lieu isolé et couple, dit sim-dating-like. Il n’en fallait pas moins à Ganbarion pour faire du fil conducteur de ce Pandora’s Tower la relation de couple entre Elena et Aeron. Pour ne pas vous mentir, la fin que vous obtiendrez sur les cinq que propose le titre, dépendra entièrement d’elle. Mettons cependant les choses au clair, il s’agit d’une relation tout à fait platonique entre les amants. Tout d’abord parce qu’Elena a 15 ans et Aeron, 23, et ensuite parce qu’il ne s’agira que « d’entretenir », au sens premier du terme, Elena en lui parlant régulièrement, en lui offrant des cadeaux de temps à autres, en lui rapportant de la chair de monstre fraichement tué. La routine quoi ! Car en effet, le joueur fréquente une sorte de créature, à l’apparence humaine certes, mais qui parfois se transforme en un être relativement répugnant. Et c’est ici que j’aimerais aborder le propos que j’évoquais plus haut, celui de l’ambiguïté de la relation et de la façon dont le mécanisme est mis en œuvre. Sans sombrer dans de la masturbation intellectuelle un peu abracadabrante, il convient de noter que Pandora’s Tower fait entretenir au joueur une relation très stéréotypée et qui permet une identification très aisée du participant ; en plus de la timidité prononcée du héros. Expliquons cela : lorsque le joueur part en mission, un temps lui est imparti (sinon Game Over) pour revenir au bercail et nourrir Elena avec de la chair, qu’il s’agisse de celle du boss (faisant avancer le scénario), ou de celle d’un monstre aléatoire (n’a qu’une fonction temporaire). Que l’on y voie ici la relation de domination par la nourriture d’un maître à son chien, d’un parent à son enfant ou dans des conceptions archaïques d’un mari à sa femme, le paradigme est reconnaissable et vécu par chacun. Ainsi le joueur assimilera plus volontiers la mission du héros - qui est de ramener de la chair fraiche à sa compagne - à une tâche routinière, obligatoire et inoffensive du quotidien, comme celle d’aller travailler. Tout cela parait au final assez glauque et parfois très inquiétant. Par ailleurs, le sentiment d'assister à du cannibalisme n’est parfois pas très loin, et si je n’y trouve rien de choquant, le lecteur doit être averti. En bref, Pandora’s Tower mélange, arrange et assemble des thématiques et des rapports à l’humain que tout le monde n’appréciera pas forcément. Paradoxalement, les premières scènes où l’on voit Elena se transformer, qui sont les plus « gentilles », dirons-nous, ont plus tendance à choquer que celles d’après, qui versent beaucoup plus dans l’explicite et le dérangeant. La faute à une acclimatation assez vicieuse du joueur aux situations de trouble après un rabâchage visuel in-game. Imaginez-vous rentrer au lieu de vie au cours d'un donjon, alors qu'Elena se transforme progressivement en monstre, et que le jeu vous propose à chaque fois la scène illustrant la pénible consommation de la chair par votre bien-aimée. Cela devient une routine, malsaine certes, mais une routine à laquelle vous vous habituerez fatalement puisque vous devrez répéter l'opération des dizaines de fois. Un conseil cela dit : ne passez pas ces scènes. Sachez enfin que cet environnement résolument glauque est très bien rendu lorsqu’Elena amorce sa transformation dans le lieu de vie. Cela passe notamment par l'utilisation d'un ciel inquiétant, d'une palette de couleurs sinistres et de mélodies pesantes.
Stay with me baby !
Bien que vous passerez une partie conséquente de l’aventure à séduire de la donzelle si vous ne voulez pas obtenir la pire fin, le plus clair de votre temps sera consacré à l’exploration des nombreuses tours qui vous attendent. A la façon d’un Shadow of the Colossus, votre périple ne sera motivé que par la volonté de sauver votre bien-aimée en partant à l’assaut de ces colosses de granit, et en y délogeant les maîtres qui siègent à leurs cimes. Mais à peine votre aventure est-elle entamée qu’elle risque de vous agacer. Je fais ici référence à la limite de temps imposée par la malédiction d’Elena. Si les premiers donjons se font sans mal d’une traite, plus vous progresserez, plus les donjons seront longs et complexes et plus vous effectuerez d’allers-retours avec de la chair de monstre pour endiguer la transformation de votre âme sœur. Bien sûr on reconnaitra le réalisme de cette mécanique. Les puristes l’apprécieront sans doute d’ailleurs. Cela étant dit, ces va-et-vient demeurent très perturbants pour le joueur. En plus de la sensation de pression omniprésente, ces trajets cassent le rythme de l’exploration, rappelant le joueur à ses obligations extérieures au donjon : le meilleur moyen de briser l’immersion en somme. De ce fait, on ne se trouve jamais totalement impliqué ou imprégné de l’atmosphère d’une zone, on sait que tôt ou tard le temps nous extirpera de là. Les plus méticuleux et les plus fouilleurs d’entre nous devront donc réprimander leurs envies, ou s’accommoder de nombreux allers-retours. De même si vous n’êtes pas doté d’un esprit vif pour les énigmes, vous verrez le temps défiler à mesure que vous tenterez en vain de vous défaire d’un mécanisme complexe.
En revanche, il sera très aisé de trouver son chemin vers la sortie, même depuis le plus profond de la tour. Et l’on saluera ici le level-design littéralement exemplaire de Pandora’s Tower. La complexification progressive des donjons est très subtile, amenant progressivement le joueur vers un donjon final surprenant. Les raccourcis pour rentrer au bercail sont légions, facilitant les nombreux trajets entre le lieu de vie et les tours. On regrettera juste le manque de diversité des environnements, qui, quoique réussis dans l’ensemble, manquent de renouvellement. Pour cause, les donjons numéros 6 à 10 inclus sont des reprises graphiques des cinq premiers donjons. Mais tout de même, on sent particulièrement bien la finition dans le level-design, et il serait dommage de s’en plaindre.
Zelda’s love song
Ganbarion ne s’est pas gêné pour pomper allègrement la plus grande saga d’action-aventure du jeu vidéo pour son action-RPG. Mais plus qu’une redite, on peut considérer cela comme un hommage tant le développeur use sagement des codes de la saga au bonhomme vert, ce jusque dans le cheminement des donjons. La clé de boss et la boussole trouvent leurs équivalents, de même que les combats de boss sont caractérisés par ces fameuses tactiques, toujours en adéquation parfaite avec l’arsenal du héros. Les affrontements contre les maîtres seront donc particulièrement épiques,
Ys n’a qu’à bien se tenir. D’un autre côté, s’inspirer de
Zelda, c’est également lui emprunter son cheminement répétitif qui consiste à enchainer simplement les donjons. Certains parmi vous pourraient être agacés par cette linéarité et cette répétitivité.
Néanmoins,
Pandora’s Tower se trouve être bien plus orienté RPG que son ainé spirituel. Ainsi y retrouve-t-on un système de craft particulièrement abouti qui rythmera vos temps de jeu passés au lieu de vie. De l’amélioration de vos armes à la création de cadeaux ou d’équipements, tout y passe. Et il faudra parfois faire des compromis en faveur de la belle pour entretenir votre amour, au détriment de votre survie dans les tours. Enfin, l’ultime mais non moins important clin d’œil à l’univers conçu par
Miyamoto est la chaine que manie Aeron pour combattre, hommage évident à l’emblématique grappin de Link.
Il s’agit là du pilier du gameplay, et
Pandora’s Tower est un jeu à gameplay. Si Aeron peut utiliser différents styles de combat (faux, épée à deux mains…), il ne viendra à bout des énigmes et des maitres qu’avec l’aide exclusive de sa chaine. Cet outil, d’une polyvalence incroyable, sera votre meilleure amie pour vous défaire des tours. Tirer, arracher, faire tournoyer, balancer, s’accrocher, lancer, etc., les utilisations sont légions. Et bien que chaque boss doive être tué à l’aide de la chaine, chaque approche est fondamentalement différente. En bref, il s’agit d’un outil réellement formidable. Mais arrêtons-nous un petit peu sur ce qui se passe en dehors du jeu, au niveau des contrôles. A cette échelle, le bilan s’avère plus mitigé. En effet, on peut reprocher à
Pandora’s Tower quelques graves écueils. Le premier d’entre eux est la mauvaise optimisation du mappage des touches. Les combinaisons de touches sont parfois confuses, souvent peu pratiques, mal situées et peu instinctives. La prise en main n’est de ce fait pas évidente du tout. Le second souci vient du motion gaming. Si son utilisation est bienvenue et souvent assez astucieuse dans
Pandora’s Tower, on reprochera à
Ganbarion son omniprésence. En effet, le joueur doit pointer en quasi-permanence la manette vers l’écran lorsqu’il se trouve dans un donjon. Non content de vous fatiguer le bras, cette pratique peut rendre encore un peu plus confus les contrôles puisqu’il faut régulièrement combiner mouvement et pression de touche. On recommandera donc le contrôleur classique, que tout le monde ne possède pas forcément. Pour conclure ce bilan en demi-teinte, on relèvera l’absence de verrouillage (lock) de l’ennemi et d’une caméra libre. Pour un soft qui s’inspire de la saga qui a sans doute le plus innové dans ces domaines, c’est assez cocasse, en plus d'être passablement ennuyeux.
I don’t have time for loving you
Mais
Ganbarion avait-il vraiment les moyens financiers qui allaient de pair avec leurs ambitions ? Même si c’est
Nintendo qui chapeaute, rien n’est moins sûr si l’on se fie à quelques indices. Le premier est cette reprise graphique proche du copier/coller des environnements des cinq premiers donjons pour les calquer sur les cinq suivants (ils sont douze au total). Plutôt malheureux lorsque l’on constate leur manifeste réussite graphique. Le second indice, c’est la technique relativement passable du titre. Loin derrière les
Zelda qui ornent le support,
Pandora’s Tower possède quelques lacunes, notamment sur les animations ou l’aliasing, en plus de s’offrir quelques vilaines chutes de framerate par-ci par-là. Enfin, le dernier élément est l’OST. Très hétérogène, composée de quelques
très bonnes pistes et d’autres un peu plus convenues, cette bande-son est incroyablement courte. On compte en tout et pour tout trois thèmes de donjon pour douze tours, par exemple. On note toutefois la remarquable qualité des pistes orchestrales jouées pendant les combats de boss, souvent accompagnées de chants. Lesquels ont d'ailleurs une forte consonance religieuse, faisant quelque part écho au scénario. Qu’auraient pu accomplir les développeurs de chez
Ganbarion avec un budget façon
Square Enix ? La question reste ouverte.
Les développeurs se sont en revanche efforcés de fournir une replay value décente. Et pour cause, pas moins de cinq fins sont disponibles (D, C, B, A, S). Une fois le jeu terminé, celui-ci vous propose de revenir dans votre partie, à des moments clés, pour retravailler votre relation avec Elena et ainsi éventuellement obtenir les autres fins. Rien de bien compliqué puisqu’il s’agira soit de la chérir, soit de la laisser se transformer en monstre souvent. Pour le tout, comptez une trentaine d’heures, tandis que le jeu en ligne droite se finit en un petit plus d’une vingtaine d’heures.
Pandora’s Tower surprend. Par la façon dont il aborde ses thématiques, par sa visuelle et son ambiguïté. Il pêche toutefois lorsqu’il s’agit de scénario pur et dur mais compense par un background d’acier et un aspect sim-dating fort appréciable, bien que redondant. Quand il s’agit de gameplay, Pandora’s Tower n’évite pas certains écueils comme le manque de maniabilité à la wiimote, malgré le travail de finition remarquable et l’indéniable richesse des donjons. Mais finalement on se souviendra surtout des boss particulièrement épiques, d’une histoire d’amour assez touchante et d’une regrettable répétitivité.
28/04/2012
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- Traitement controversé mais intelligent de ses thématiques
- Bon background
- Gameplay riche et intelligent
- Level-design exemplaire
- Aspect sim-dating intéressant
- Quelques très bonnes pistes
- Replay value correcte
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- Maniabilité à la wiimote assez désastreuse
- Technique moyenne
- Scénario quasi-absent
- Histoire sans surprise
- Répétitif
- Des allers-retours perturbants
- Pas de lock, ni de caméra libre
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GRAPHICS 2.5/5
SOUND/MUSIC 3.5/5
STORY 1.5/5
LENGTH 4/5
GAMEPLAY 4/5
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