Fin 2009 voyait la naissance de
Supergiant Games, studio indépendant fondé par deux anciens d'
Electronic Arts. Presque dans la foulée, l'annonce du premier jeu du studio était faite lors de la
PAX Prime 2010, avec une petite et discrète vidéo présentant un Action-RPG aux graphismes chatoyants, à l'action bien présente et surtout au style de narration bien particulier.
Bastion, le bien nommé, a ainsi tapé dans l’œil de pas mal de monde et ce bien avant sa sortie, dont celui de
Warner Bros, allant même jusqu'à faire de l'ombre à
Batman: Arkham City, autre jeu édité par le studio. Se dévoilant en fanfare lors du
Summer of Arcade 2011, petit évènement pour promouvoir les jeux Xbox Live Arcade, le jeu enchaine du coup
de nombreux prix et une avalanche de critiques plus élogieuses les unes que les autres.
Forcément, un tel succès, et si soudain, ça intrigue.
Hype or not to hype: that is the question ?
Calamity Kid
Bastion, c'est l'histoire d'un petit gars surnommé le Kid (faute de posséder un vrai nom) qui se réveille seul sur un bout de décor flottant dans le vide, rare survivant d'un cataclysme appelé la Calamité. Une seule chose lui vient alors à l'esprit, rejoindre le Bastion, un lieu sacré dit imperméable aux catastrophes, dans l'espoir d'y retrouver d'autres survivants. Et quand il y accède enfin, c'est pour y rencontrer un mystérieux rescapé, l’Étranger, et un sanctuaire en ruines. Le Bastion a lui aussi souffert de la catastrophe, et retrouver les cristaux lui fournissant son énergie est le seul moyen d'éviter la destruction totale de ce lieu qui ne représente ni plus ni moins que la dernière chance de ce monde. Hardi gaillard, Kid se lance donc à l'assaut d'un univers éclaté en une myriade de parcelles, dans le but de retrouver les précieux minéraux et toute trace de vie qui peut être sauvée...
Et dès les premières minutes, la première chose qui frappe, c'est le choix narratif plutôt couillu fait par les gens de Supergiant Games, et qui fait la toute particularité de Bastion. Pas de longues cinématiques ou de passages lourds de dialogues, toute la trame du jeu prend la forme d'une narration directe et constante où l’Étranger (Rucks de son nom) - par sa voix abimée de vieil homme blasé digne d'un bon vieux western - est l'unique conteur des péripéties du Kid et de l'histoire du monde de Bastion. Amusé ou cynique lorsqu'il s'agit de décrire les mésaventures du jeune héros, plus sérieux et mélancolique quand il évoque le monde qu'il a connu ou les évènements qui ont conduit au drame de la Calamité, il est omniprésent, implique et captive progressivement le joueur en même temps que Kid dans la découverte des évènements. Un récit d'ailleurs bien plus fin qu'il n'y parait et qui aborde de nombreux thèmes avec finesse et efficacité, pour peu de ne pas rusher et de s'intéresser à tout ce que propose l'aventure. Rien n'est laissé au hasard dans l'écriture du soft (même le fait que le héros ait les cheveux blanc a une explication, bien loin du facteur "coolos style"), tout se mêle, s'entrecroise et s'assemble pour former une fable cohérente, prenante et magnifiquement bien construite, qui offre à sa conclusion un choix aussi puissant que cornélien à celui qui se sera attaché au fil des heures au monde du Kid. Pouvoir profiter de ce récit a néanmoins un prix, celui de la concentration : car même avec les sous-titres, on a vite fait d'outrepasser une ou deux phrases lorsque le jeu subjugue lors d'un moment émotion ou quand des scènes de combat bien bourrines prennent le dessus, et réussir à reprendre le fil n'est pas chose aisée.
Bastion générale
S'il est un jeu qui prime avant tout par son récit, Bastion propose toutefois en parallèle une partie action très bien rodée, aux mécaniques classiques dans la forme et dans le fond. Le Kid va ainsi dessouder de l'ennemi à la pelle dans des affrontements hauts en couleurs, et glaner argent et expérience en plus de potions et autres nombreux objets pour améliorer son arsenal ou apporter un peu plus de lumière sur l'univers du jeu. Ponctuellement, quelques variations seront proposées, comme des séquences de fuite, des arènes assez corsées à vider de vagues de monstres ou quelques passages de plate-formes. Le tout est très bien huilé et ne force jamais au leveling, d'autant plus que l'arsenal du boy, inscrit dans la continuité d'une forte inspiration far-west dont est dotée le jeu (doubles colts, fusil, arc, bazooka... bazooka ?!), n'aura de cesse d'accueillir de nouveaux jouets et pouvoirs de plus en plus puissants, offrant ainsi une diversité constante à celui qui veut trouver chaussure à son pied - ou plutôt arme à sa main. Jouets qui peuvent être mis à contribution dans de nombreux stages bonus (un par objet), où la dextérité sera la clé de nombreuses récompenses supplémentaires pour le Kid.
Globalement, le petit teigneux répond au doigt et à l’œil dans les jouissives bastonnades qu'il aura à livrer, les seuls point faibles de ces joutes restant la frustrante et imprécise visée avec les armes à feu dès que l'auto-lock n'est plus accessible, et un bestiaire qui se renouvelle peu.
Et baston demande préparation, et c'est le Bastion, servant de base à Kid, qui va remplir ce rôle. Il est le point central du jeu, c'est à partir de là que Kid va pouvoir opérer et se lancer à l'assaut des zones pour invariablement y revenir à chaque fois. Chaque cristal ramené va permettre à une partie du domaine de se relever, offrant ainsi la possibilité au jeune aventurier d’accéder à plus de moyens : la taverne pour augmenter ses statistiques et capacités via des boissons aux noms dérivés d'alcool (une par niveau, échangeables à l'infini à chaque passage), à l'arsenal pour choisir ses armes et techniques et à la forge pour les améliorer, un système d'upgrade bien pensé où chaque arme dispose de cinq niveaux d'amélioration, deux choix sont disponibles à chaque fois (et également interchangeables à tout moment). Libre à chaque joueur de modeler ses armes comme il le souhaite, en les rendant plus létales, plus précises ou plus faciles à recharger, ce en tenant évidemment compte d'une éventuelle contrepartie.
Le Bastion comporte également trois autres bâtiments tout aussi importants, le mémorial, le bazar et le temple. Le premier offre pécule quand certains objectifs sont remplis, achievements directement in-game qui sont un bon moyen de remplir sa bourse. Le second permet, moyennant cristaux sonnants et trébuchants (la monnaie du jeu), de pouvoir racheter tout objet non récupéré lors des balades dans les différents mondes, balades qui sont à sens unique. Une bonne et savante manière de ne rien rater des bribes scénaristiques offertes par certains, mais attention à ne pas en faire une habitude : c'est cher. Quant au dernier, le temple, il saura satisfaire les besoins des joueurs ne trouvant pas un challenge suffisant dans le jeu en relevant la sauce. Il permet, via la collecte de nombreuses idoles (10, au total), de modifier partiellement ou totalement certains aspects du gameplay : doubler la puissance des ennemis, leur offrir la possibilité de ressusciter, de régénérer, de s'octroyer quelques secondes d'invincibilité, etc., un rehaussement de la difficulté qui paye, en offrant plus de cristaux et d'expérience à celui qui se sentira l'envie de souffrir un peu beaucoup passionnément à la folie ; avis aux amateurs de scoring car le jeu dispose également d'un leaderboard, où les plus masochistes pourront tenter d'atteindre les premières places.
Au final, toute la partie gameplay de Bastion est vraiment complète et intelligemment pensée du début à la fin.
2D>3D
Bastion brille par son histoire, sa narration et son gameplay, mais également par sa technique, qui prouve une nouvelle fois que la 2D artisanale a encore un bel avenir. Le jeu dispose d'un enrobage chamarré, fourmillant de détails, qui en met plein les yeux et qui n'est pas sans rappeler les softs d'
Ankama ou de
Vanillaware. Une direction artistique qui soutient à merveille des décors oscillant entre les décors du far-west et le post-apocalyptique où la nature a repris ses droits, qui présentent la particularité de se former sous les pieds du Kid au fur et à mesure qu'il progresse dans un niveau ; un effet particulièrement sympathique qui accentue la sensation de découverte constante de l'univers par le garçon, mais également vicieux par sa proportion à vite jeter le joueur dans le vide lorsque la fameuse route ainsi suivie se révèle être un cul de sac.
Enfin, dernier point concernant une somptueuse bande son qui contribue et renforce énormément l'ambiance du jeu, mélange de sonorités issues de la country, de la
western music (
Ennio Morricone, je hurle ton nom !) et du hip-hop, un "
acoustic frontier trip-hop style" si on reprend les mots de
Darren Korb, compositeur du jeu. Sans oublier ces magnifiques ballades où une guitare seule accompagne les chanteurs, ballades qui transcendent littéralement la puissance de certaines scènes.
Le jeu propose également un New Game + pour celui qui se sentira l'âme de recommencer l'aventure (cependant sans ajouts notoires), dans lequel on garde son pécule, son niveau, ses upgrades d'armes (qui par contre il faudra retrouver) et ses boissons à la taverne. New Game + qui lui aussi est intégré dans la trame, avec une signification propre. La grande classe.
Quand tout le monde s'agite autour des éléphants en attendant qu'ils bougent ne serait-ce qu'un peu, on en oublierait presque que des milliers de fourmis s'affairent sous leurs pattes et assurent le spectacle. Et ce spectacle, Bastion l'assure, sourcillant à peine de côtoyer les grosses productions AAA qui s'enchainent et s’essoufflent, en assurant avec brio un rôle que ces dernières oublient parfois : divertir. Une perle qui fait indéniablement partie de la crème de la scène indie, qui ne révolutionnera sans doute pas le monde du jeu vidéo ni même la catégorie dans laquelle il boxe, mais qui permet le temps d'une courte balade - comptez 6 à 7h maximum pour le finir une première fois - de découvrir un soft doté d'une belle âme, chose qu'on ne voit plus vraiment aujourd'hui.
See you, Kid.
05/09/2011
|
- Un univers magique et magnifique
- Une bande son qui l'est également
- Gameplay efficace
- Un scénario très bien écrit
- Un style de narration original et immersif...
|
- ...pas facile à suivre, et qui ne plaira pas à tous
- Le système de visée
- Bestiaire faiblard
|
GRAPHICS 4/5
SOUND/MUSIC 5/5
STORY 4/5
LENGTH 2.5/5
GAMEPLAY 4/5
|