Côté obscur de la force vidéo-ludique japonaise, l'eroge (mot-valise pour désigner les jeux à contenu érotique) est un genre démocratisé au début des années 80 avec l'apparition de supports de jeux accessibles au plus grand nombre. Le genre a tranquillement passé les années pour définitivement s'implanter dans le paysage japonais au grand dam des gouvernements qui se sont succédé, tout en évoluant en marge du jeu-vidéo "normal". On est ainsi passé de petites aventures textuelles à de vrais scenarii très recherchés en plus de la recherche de nouvelles pistes en mixant fesses et genres de jeu : aventure, dating-sim, shoot'em up, même jeu de combat et j'en passe. Mais s'il y a bien un genre qui se démarque du reste, c'est le RPG, où certaines séries et / ou studios sont devenus de vraies institutions au Japon comme
Alicesoft (
la série des Rance) ou
e-go (
Castle Fantasia). Et aussi le studio
Eushully (
Ikusa Megami), existant mine de rien depuis plus de quinze ans et à qui on doit ce
Kamidori Alchemy Meister reviewé ci dessous.
I am Wil, Wil I am
L'histoire de
Kamidori prend place dans le monde de Dir Lifyna, servant de terreau à la plupart des jeux produits par
Eushully (notamment les
Ikusa Megami). Bien loin des conflits mêlant pêle-mêle dieux, démons, anges et autres créatures tentaculaires existe la région de Setetori et en son sein la cité de Yuidora, fief des alchimistes, en pleine expansion suite à la chute du royaume de Mikelti. Et c'est dans cette ville que vit le jeune Wilfried Dion, alchimiste en devenir dont le but premier est de reprendre l'atelier familial suite à la mort de ses parents. L'examen est une formalité pour le jeune homme, qui doit immédiatement se mettre à l’œuvre pour se faire une place dans la très rude méritocratie régissant Yuidora : seul le travail et l'investissement comptent. Heureusement le destin est bon prince et mettra sur sa route Yuela l'épéiste taciturne, Serawi l'elfe bienveillante et Emelita, une énergique magicienne, trois demoiselles qui deviendront des alliées inestimables dans sa quête de renommée et la construction d'un monde meilleur.
Autant le dire tout de suite, ce n'est pas vraiment par son scénario que
Kamidori va briller, un scénario qu'on pourrait plus définir comme un entrelacement de fils rouges qu'une véritable trame. Une bonne partie du jeu consistera à suivre le très plat Wil, idéaliste au grand cœur et partisan de l'amitié entre les peuples, toujours prêt à accomplir les requêtes de la guilde et à résoudre les problèmes de tous les êtres qu'il croisera. C'est de cette manière que ce héros lambda par excellence réunira autour de lui
une clique très diversifiée (une ondine, des anges, une succube, des jumeaux dryades, un dragon et j'en passe), clique qui à son tour proposera d'autres histoires fils rouges qui vont s'étaler sur les neuf chapitres du jeu. A cela il faudra ajouter un second scénario parallèle incarné par le choix d'une des trois donzelles comme petite amie : l'histoire de Yuela restera la plus intéressante des trois car liée aux secrets de Yuidora et couvrant tous les aspects de l'univers, celle de Serawi fait dans l'écolo en traitant la co-existence avec la nature et les méfaits du progrès tandis que celle de Emelita sera plus axée "politique" avec en toile de fond les manigances de nobles désireux de reprendre les rênes du pouvoir, perdues lors de la chute du royaume.
A noter que les trois histoires sont complémentaires, mais pas indissociables : elles se suffisent à elle-mêmes, mais faire les trois permettra de véritablement avoir une vue d'ensemble de l'histoire et des enjeux du monde de Kamidori. A cela se rajoute un grand nombre de saynètes comiques ou non qui permettent de donner un poil plus de consistance à un casting plutôt attachant, qui même si cliché dans le fond et la forme aura droit à un développement plus ou moins égal tout le long de l'aventure. Donc oui ça ne brille pas vraiment niveau scénario/background, mais ça assure ce qu'il faut pour maintenir l'attention du début jusqu'à la fin.
Quand à la partie eroge, on oublierait presque qu'elle existe jusqu'à ce que les premières scènes tombent passé la moitié du jeu. A quelques exceptions près, tous les personnages féminins que côtoiera Wil lui tomberont dans les bras à un moment ou à un autre, que ce soit lié au scénario ou à la résolution de quêtes annexes, sans que ce soit trop envahissant dans le déroulement du jeu. Pas de scènes trash ou gratuites toutes les dix minutes mais des scènes très fleur bleue accompagnées de textes bien sirupeux. Pas la peine de chercher un réel aspect romancé cependant, les relations entre les personnages étant très survolées et même celle avec l’héroïne choisie, qui reste la plus développée, est assez légère dans son traitement. Héroïne qui en passant ne trouvera pas vraiment problématique que son homme fasse monter au septième ciel les trois quarts de l'équipe, mais bon c'est le genre qui veut ça. Bref si vous cherchez un aspect "ascenseur émotionnel" avant tout, Kamidori n'est pas vraiment un novel pour vous. Et si cet aspect vous ennuie tout court, un bon coup d'avance rapide des dialogues résoudra la situation en une poignée de secondes.
Tactical multiculturel...
Un peu à la manière des
Atelier de
Gust,
Kamidori compile deux gameplay en un : alchimie/gestion d'un côté et exploration/combat de l'autre, mais avec le calendrier en moins car le jeu n'impose (quasiment) rien.
Partie exploration/combat, il faut d'abord passer par un écran de carte du monde pour choisir le lieu, lequel contient une multitudes de stages dont l'accès se débloque au fil des chapitres, et croyez moi il y en a un paquet. A noter qu'un voyage demande un certain nombre de jours, un paramètre qui n'est à prendre en compte que pour la partie gestion. Et une fois le stage sélectionné c'est parti pour un peu de tactical-RPG, où il faut dans un premier temps choisir ses unités et faire face à un défaut d'ergonomie du jeu, et dieu sait qu'il les cumulera : chaque unité, à l'exception de Wil, aura un
Command Cost dont le total ne doit pas dépasser un certain montant sous peine d'un malus de déplacement. Et impossible de voir le
Command Cost d'un personnage et également de choisir le point de départ sur la grille, la seule parade étant de faire partir un seul personnage dès le premier tour et de déployer une à une les unités. Bref on déploie ses unités, et on fait face à un Tactical-RPG plutôt classique où chaque camp avance ses pions lorsque c'est son tour et dans lequel il faut évidemment prendre en compte les forces et faiblesses de ses unités et des ennemis pour avancer efficacement. Mais heureusement,
Kamidori se dote de quelques spécificités pour proposer sa propre recette de la formule.
Il y a une grosse insistance sur la notion de contrôle du champ de bataille, d'abord. Et cela commence dès la première seconde du combat avec un camp de base servant de point de départ, et qui pourra être à l'origine d'un game-over si l'ennemi vient à s'en emparer. Ensuite il faudra avancer "salle par salle" en éliminant les ennemis présents pour en prendre le contrôle, chose primordiale car une salle contrôlée par l'ennemi est synonyme de mouvements restreints. Évidemment juste dessouder les ennemis pour avancer serait une chose bien trop facile, et c'est pour ça qu'il faut compter sur une multitude de pièges ou de constructions pour compliquer la progression : nombreux pièges pour faire descendre vos HP/MP/FP (FP pour Field Points, chaque personnage à un capital de ces points qui descend à chaque pas et le 0 est synonyme d'immobilisation quasi-totale), brouillard empêchant de voir le contenu de la prochaine salle, salles cachées, portes ou terrains spéciaux ne pouvant être ouvertes ou êtres franchis que par des personnages ayant les bonnes capacités, sans oublier des vortex à monstres qu'il faudra fermer sous peine de crouler sous des vagues successives de monstres, avec parfois en bonus des boss qui sortent de nulle part.
Heureusement, il y a quand même quelques éléments pour contrebalancer comme la présence salutaire de points de régénération regonflant à bloc les personnages, mais attention car les ennemis peuvent aussi en profiter. On peut aussi trouver des points de déploiement, qui permettent de retirer/faire sortir des unités en dehors du camp de base. Chaque carte a également des objectifs permettant d'engranger plus de bonus à la fin, l'objectif le plus commun étant un contrôle à 100 % de la carte. Et enfin plus gros point positif, l'hyper-flexibilité du système de jeu : outre les vêtements pour le quatuor principal, le jeu permet de changer une bonne partie du profil d'un personnage pendant sa phase active. Ainsi armes, accessoire(s) et capacités peuvent être librement et indéfiniment changés et l'éventail des objets, qui s'agrandit drastiquement au fil des chapitres, permettra de vraiment s'adapter à toutes les situations. Une chose de plus en plus vitale au fil du jeu car la difficulté va crescendo et oblige à bien exploiter la chose en plus d'user de tous ses talents tactiques. L'accès aux objets de soutien se fait également de la même manière, on peut totalement soigner ses unités d'un tour sur l'autre.
Seulement cette flexibilité a un prix, celui d'une interface terriblement redondante où tout se fait à la souris. Sans raccourcis, sans favoris, sans inventaire personnalisable, on fait défiler les pages à grands coups de clics, pages qui semblent devenir de plus en plus interminables au fil de l'accumulation des objets qui ne disparaissent pas de l'inventaire mais finissent à 0 si tous utilisés/revendus. On rajoute à cela une certaine peine dans le traitement des capacités des personnages car tout passe par les capacités, il n'y a rien de natif, et on en arrive à certains illogismes où il faut équiper une capacité pour permettre à un ange de voler ou à un élémentaire de terre de traverser... les terrains de terre. Et avec seulement quatre capacités au maximum et pas de séparation entre les capacités offensives et de support, sans oublier l'évolution inégale dans les stats et une gestion assez laborieuse de l'expérience (dites vous qu'il y a carrément eu l'implantation d'un donjon spécialement pour farmer l'expérience tellement le jeu est mal équilibré !), on fait très vite le tri entre les "boulets" et les unités viables ne serait-ce que d'un point de vue pratique. Tout en prenant en compte le fait que certains équipements offrent des skills bonus. Ce n'est pas non plus invivable et on prend très vite le pli du clic à tout va, mais Eushully aurait clairement pu faire un effort à ce niveau.
A noter également que le quatuor principal disposera de costumes, qui ne peuvent être changés qu'à l'atelier. Ceux-là offrant bien sûr une apparence différente à chaque fois mais également des bonus/malus en rapport avec l'élément de l'armure en question. Ces armures peuvent et doivent être améliorées moyennant objets et argent, permettant d'accéder à un très large éventail de capacités et surtout à des gains statistiques pouvant être librement changés si le cœur vous en dit : par exemple si Yuela tombe sur une case Force+1 / Résistance +1, elle pourra librement changer le bonus dont elle profitera (à noter qu'en New Game +, on peut choisir deux bonus par case et qu'en New Game ++, c'est l'intégralité des bonus d'une case dont on profite). Ce qui mine de rien va faire du quatuor le cœur de l'équipe pendant un bon moment car ils sont de véritables couteaux-suisses sur pattes, en plus de former une équipe-type relativement puissante.
...et alchimie austère
En parallèle du combat et de l'exploration, il y a aussi la partie alchimie/gestion et tout se passe en ville. Pour l'alchimie, on reste dans le très basique : il suffit juste d'avoir le bon nombre de matériaux et paf magie, avec parfois une variation car certains objets peuvent muter pendant la fabrication. Les nouvelles recettes tombent en fonction de la progression dans l'histoire, du rang d'alchimie de Wil, de la résolution des quêtes et de l'amélioration de l'atelier qu'on peut s'amuser à customiser un peu plus à chaque chapitre. Ce qui fera gonfler
certaines statistiques (certaines plus utiles que d'autres) en plus de pouvoir débloquer des scènes. Basique mais indispensable, car le gros des objets du jeu, notamment l'équipement, s'obtiendra par ce biais. Il y a également une mécanique de gestion de magasin, elle aussi très basique : on customise le magasin de manière à augmenter les prix, le nombre d'objets ou l'attraction de la clientèle, on peut même affecter un membre de l'équipe au comptoir pour rendre la mécanique plus efficace. C'est amusant cinq minutes, avant que cela ne montre très vite ses limites ludiques, qui vont se résumer à martyriser le bouton "faire défiler les jours" une fois le stock du magasin rempli, histoire de liquider le stock en trente secondes. Attention cependant, car Wil a une rente journalière à payer à la Guilde, il serait idiot de faire banqueroute avant d'avoir encaissé son pactole. On relève donc des limites ludiques, voire des limites tout court : utiliser la vente implique la création d'objets, et la création d'objets implique elle d'avoir des matériaux pour.
Et là encore problème : les matériaux s'obtiennent uniquement par le biais du farming et du drop. Inutile de compter sur des soutiens de NPC ou des marchands façon
Atelier de
Gust. D'ailleurs la ville de Yuidora manque cruellement de vie et d'options : à part l'église vendant les objets de soutien et le Colisée pour des défis de combats, il n'y a rien. Sauf deux, trois lieux visités régulièrement pour déclencher les scènes liées à l'histoire ou aux quêtes. Le pire, c'est que le jeu trolle presque à plusieurs reprises en vantant la magnifique santé commerciale de la cité et en plaçant certaines scènes dans le grand marché de Yuidora... Bref on va farmer, farmer, farmer, économiser ses précieux matériaux et utiliser sporadiquement le magasin comme conclusion de
money trick accessibles très tôt. Et en New Game+ on ne l'utilisera même plus tant les moyens de faire tomber les brouzoufs existent. C'est également en ville que se récupéreront la grande majorité des quêtes. Une bonne partie laissera au joueur le temps de faire œuvre car ayant un délai s'étalant sur plusieurs chapitres voire pas de délai du tout. Mais attention de ne pas relâcher son attention car une poignée de quêtes sont traitres, avec des délais extrêmement courts ou un déroulement pas toujours très clair (conseil : renseignez vous avant sur ces fameuses quêtes, histoire d'anticiper !).
Pour le farming en lui même, ça se passe sur les cartes d'exploration où il faut dénicher des points de collecte. Le bon côté c'est qu'on peut revenir et sortir en un clic sur une carte déjà visitée, et elle conservera le stade de progression maximale du joueur : si tous les points de déploiement ont été capturés, il est alors facile de larguer des unités (disposant de capacités de collecte, bien entendu) un peu partout sur la carte pour couvrir les points de ressources, sortir et recommencer. Et aussi à condition de se souvenir de leurs emplacements ou à défaut toujours avoir le wiki japonais sous la main, car mine de rien le jeu cumule un très grand nombre de cartes. Et quelque soit le nombre de passages, les points de collecte seront toujours aux mêmes endroits et surtout toujours dissimulés. Sauf en New Game+ où une option permet de les faire apparaitre. P-O-U-R-Q-U-O-I ? Et c'est bien là tout le souci du gameplay de
Kamidori : pour chaque bonne idée ou bon principe il y a forcément une mauvaise contrepartie, plus née d'un manque d'attention du développeur qu'autre chose.
Léger mais complet
Techniquement, il faut bien dire que le jeu est aussi coloré qu'il est cheapos : les artworks sont très beaux, à tout casser il y a une vingtaine de sprites de NPC réutilisés de manière outrancière, les environnements de jeux sont assez basiques, le bestiaire est relativement limité et n'échappe pas à la règle de la recoloration abusive. Le système de combat arbore lui
un plan trois-quarts façon Golden Sun / Shining Force, les animations et la dynamique en moins, conséquence de quoi on aura d'ailleurs vite fait de passer les combats en mode affichage minimum. Minimum syndical au niveau sonore également, les pistes d'ambiance et de combat étant très passe-partout. Chose qui pourrait s'expliquer par le fait que la plus grosse partie du budget est passée dans les doublages : seuls les personnages féminins ont le droit à une identité vocale (et encore, pas forcement dans toutes les scènes). Pour une raison qui semble bien évidente, bande de petits coquins.
Comptez environ cinquante heures pour voir le bout d'une première partie, et potentiellement le double voire le triple pour voir tout ce que le jeu peut offrir, car
Eushully a procédé à une approche intelligente de l'habituel New Game + : finir le jeu une première fois débloquera le New Game +, qui offrira l'accès à de nouvelles options en début de partie pour se faciliter la vie, mais également à une pétée de contenus supplémentaires (personnages, recettes, équipements, donjons de très haut niveau, et j'en passe). Et il faudra un New Game ++ pour en débloquer la totalité. Et ce qui tombe bien c'est que le jeu, avec trois héroïnes principales, propose trois histoires différentes. Vous voyez le lien ? Le bémol (encore !) restera l'accès parfois obscur ou pas forcement évident à certains évènements ou quêtes du jeu, dont certains sont exclusifs à l'embranchement scénaristique choisi, et qui demanderont soit un grand coup de bol soit une consultation de FAQ pour savoir où l'on met les pieds.
Au final, que peut-on retenir de
Kamidori ? Premièrement qu'il est toujours malvenu de sous-estimer un RPG sous couvert de ses origines ;
Kamidori a beau être un eroge, il propose un système de jeu complet, addictif, avec plein de bonnes idées et du contenu qui déborde de tous les côtés. Certes il n'inquiétera pas les ténors dans les domaines qu'il cherche à creuser, mais il sait suffisamment se distinguer pour ne pas rougir face à eux. Dommage que le jeu accuse un manque de finition certain et des tares presque surréalistes après tant de décennies d'existence du JV, difficile d'estimer si on est face à un studio manquant de maturité ou un studio se cognant de la chose une fois le premier jet de développement effectué. On ne peut cependant pas enlever à
Eushully le suivi de ses jeux,
Kamidori ayant eu droit à de nombreux patchs et ajouts depuis sa sortie en 2011.
Le jeu dispose d'une traduction en anglais, et également de deux wiki très complets :
un anglais contenant quasiment tout ce qu'il faut savoir sur le jeu, avec
en complément le wiki japonais pour les cartes du jeu (très accessible avec un bon vieux coup de Google Trad !).
06/03/2014
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- Plein de bonnes idées...
- Système de jeu complet et flexible
- Addictif
- Du contenu à foison
- Un New Game+ bien pensé
- L'univers et le casting sympa
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- ...et autant de mauvaises
- L'interface
- Opaque dans le déclenchement des quêtes et scènes
- Attention, concept répétitif par nature
- C'est quand même très cheap
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GRAPHICS 3/5
SOUND/MUSIC 2.5/5
STORY 3/5
LENGTH 5/5
GAMEPLAY 4/5
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