Même s'il occupe une très bonne place dans la culture populaire, le pirate - au sens romanesque du terme - a souvent eu les honneurs du cinéma et de la littérature mais pas souvent du jeu vidéo. Si on enlève les adaptations et les japonaiseries à base de pirates du ciel et de l'espace, il faut bien dire que la liste est plutôt maigre même si elle comporte de très bons titres (on pensera notamment à Pirates! ou la série des Monkey Island). Donc quand le studio Octane Games annonce en 2011 un A-RPG du nom de Raven's Cry installé dans l'univers de la piraterie, c'est une sorte de petit événement. Mais le doute s'installe très vite : un report, deux reports, trois reports, le silence, puis l'annonce de l'éditeur Topware nous disant que le projet est refilé à un autre studio, Reality Pump (la série Two Worlds). Encore quelques reports plus tard, on arrive en 2015, année où le jeu doit définitivement sortir et le constat des premières previews est assez alarmiste. Tous les signes d'un naufrage vidéo-ludique sont donc réunis, mais peut être que Raven's Cry va faire mentir l'histoire ?
I'm gonna °°°° your °°°° cuz' °°°°°° of °°°°°°°
L'histoire de Raven's Cry prend place au XVIIIème siècle dans les Caraïbes, en plein âge d'or de la piraterie. Capitaine pirate comme il en existe des tas d'autres, Christopher Raven sera victime d'un destin bien taquin qui va le sortir de sa monotonie faite de sang et de rhum : trahi par un commanditaire et promis à la peine de mort, l'homme doit fuir en laissant bateau, butin et équipage derrière lui. Obligé de repartir de zéro et d'acquérir un nouveau navire, Raven va alors trouver sur sa route les restes d'une frégate dont l'équipage a été exécuté d'une manière singulière, la signature d'un pirate sanguinaire du nom de Neville Scranton... censé être mort il y a des années suite à un tremblement de terre. Une exécution qui ramène notre capitaine à son enfance et le fait qu'il a été témoin de l'assassinat de sa famille par cet homme. Persuadé du retour de celui qu'on surnommait le Diable, Raven n'a plus qu'une idée en tête : assouvir sa vengeance. Et tant pis s'il réveille les vieux démons de l'archipel.
Il faudra cependant attendre une bonne heure avant la mise en place de l'intrigue, le jeu préférant commencer par un tuto-histoire bien torché et qui n'aide pas vraiment à assimiler les commandes, quelque chose qui se fera dans la douleur avec le "vrai" jeu. Mais pour en revenir à l'intrigue, on se doute bien qu'on ne va pas taper dans l'originalité avec une histoire de vengeance mais en plus Raven's Cry ne fait pas vraiment d'efforts pour faire passer la chose. La faute à l'histoire pour commencer, pas vraiment intéressante et avec des dialogues à rallonge juste pour le plaisir d'y coller un maximum d'injures, à une mise en scène bien tristounette et un découpage étrange du déroulement donnant l'impression de morceaux collés bout à bout, sans vraie cohérence ; mention spéciale au chapitre 3 et son temple aztèque à aborder en mode Indiana Jones qui sort un peu de nulle part. Les personnages ne sont pas en reste, tout particulièrement notre héros que le jeu cherche à faire paraître badass mais qui au final fait plus sociopathe immergé dans une caricature de l'univers de la piraterie. Il y a bien un famélique système de choix dans les dialogues, mais l'illusion tombe vite quand on s’aperçoit qu'il n'y pas de système de moralité et que ces choix sont cantonnés aux éléments annexes. On en viendrait presque à se demander si notre brave capitaine, dans sa propension à trucider tout ce qui croise sa route mais à accepter sans souci de jouer les garçons de course, n'est pas la victime de troubles bipolaires marqués.
Le doublage se joint également à la fête, plat à mourir quand il n'est pas surjoué, et qui en plus souffre d'une lip-sync calamiteuse ; du moins quand il y a du son, car de l'aveu même des développeurs le jeu est sorti sans une bonne partie de ses fichiers audio. Ce qui donne des scènes assez cocasses quand on voit des lèvres bouger sans son derrière ou quand un seul bout du dialogue est effectivement doublé. Quelque chose que le studio cherche cependant à corriger au fil des patchs, il parait... Le coup de grâce va venir des animations des personnages, parfois bien cavalières dans leurs façons de faire un doigt d'honneur à la physique et à l'anatomie humaine ; rien de mieux pour ruiner le peu de tension d'une scène que de voir les mouvements irréels du cou ou des bras d'un intervenant. L'ambiance du titre s'en sort un peu mieux même si ce n'est pas glorieux non plus. Le développeur a tenté de recréer le mieux possible l'atmosphère cradingue et alcoolisée de cette période de l'histoire, qui prend racine dans l'environnement sonore, le sentiment de vie dans les villes, l'activité des NPC ou encore le certain respect du cahier des charges de la piraterie : prostituées, exécutions, alcool qui coule à flot et chansons pirates seront le quotidien de notre brave Raven. Même si là encore la qualité des animations fait que le jeu n'aura pas besoin de forcer pour casser toute sensation d'immersion. Ainsi chaque NPC que Raven approchera ou avec lequel il interagira quittera son "rôle", sans aucune transition, pour se transformer en un piquet qui mettra de longues secondes à revenir à la raison. Mention spéciale aux ivrognes qui dégrisent en un clin d’œil ou aux mendiants adeptes du yoga. Paf, magie.
Le radeau de la méduse
Le gameplay de Raven's Cry peut être séparé en deux parties : la partie terrestre et la partie maritime. A tout seigneur tout honneur on va commencer par détailler cette dernière, largement mise en avant par Topware comme étant un des plus gros atouts du jeu. Plutôt axée simulation, cette partie maritime va consister en des joutes navales qui auront lieu aléatoirement sur le chemin entre deux lieux, les ennemis apparaissant sur la carte 1-2 secondes avant une potentielle confrontation ; il n'y aura à proprement parler pas d'exploration libre, les déplacements se faisant en fast-travel via une carte. Il est cependant possible de stopper temporairement l'action de déplacement pour voir les différents acteurs sur la carte et ainsi choisir sa cible. Il y aura bien 2-3 îles explorables de fond en comble dans le cadre de chasse aux trésors (et dans lesquelles on pourra massacrer des villages entiers d'indigènes qui sont FORCEMENT hostiles), mais en général le cadre dans lequel évoluera notre héros est très cloisonné ; on se fait d'ailleurs vite berner par les cartes des villes majeures qui laissent penser qu'un sacré bout de terrain sera explorable pour au final manger des décors vides et un joli message "IL N'Y A RIEN A VOIR, REVENEZ EN ARRIÈRE" quand on déborde un peu des clous.
Possédant la grâce d'un tanker de marchandises du port du Havre, le navire de Raven se contrôle directement avec les flèches directionnelles, ce qui permet des manœuvres relativement larges ; il faudra cependant veiller à toujours avoir les faveurs du vent pour profiter d'une maniabilité optimale de son rafiot, le jeu incluant une gestion de la météo. Les canons, eux, disposent de plusieurs types de munitions : boulets et bombes pour la coque (afin de couler le navire), chaines pour les voiles (afin de l'immobiliser) et grenaille pour l'équipage (pour réduire la force de frappe). Ils se manient manuellement, les bordées de canons sont indépendantes l'une de l'autre et il faudra déterminer, à l’œil et en jouant avec les nombreux angles de caméra disponibles, l'angle de tir idéal afin de toucher sa cible. On finit par chopper le coup avec l'expérience et ressentir une certaine satisfaction à bien mener ces joutes navales, mais l'acquisition de ladite expérience reste laborieuse. Entre l'IA qui se tape un peu du climat, une distance d'affichage relativement faible et des hitbox hasardeuses, autant dire que c'est un apprentissage à la dure, surtout que les adversaires sont rarement seuls et qu'ils ont vite fait de nous envoyer dire bonjour aux poissons. Sans oublier la courbe de difficulté totalement en dent de scie, façon "je rencontre une caravane de vaisseaux de guerre dès mon premier vrai combat". Et croyez moi, vous allez bien crever en boucle au début du jeu. Enfin pour finir, une bataille navale ne peut se terminer que de trois manières : la fuite, couler un navire ou l'aborder ce qui occasionnera une sorte de jeu de pierre-ciseau-feuille. Les deux dernières occasionneront un gain d'expérience et une modification de la réputation (qui influera sur l’agressivité des factions envers Raven), l'abordage reste la solution la plus dangereuse mais aussi celle rapportant la plus grosse mise.
Là ou cet aspect maritime commence à coincer un peu, c'est quand le développeur commence à tirer un peu trop sur la corde de la simulation et ce sans vraiment regarder ce que ça amène. Premièrement les voyages ne sont pas "gratuits" et vont faire partir à vitesse grand v les rations achetées pour entretenir l'équipage (dont le nombre total est déterminé par une réglette manipulable sur la fiche du bateau, allez zou). Plus l'équipage sera grand, plus de rations seront consommées et plus la facture grimpera. Même chose pour la dégradation du bateau, plus il sera gros et plus on ira raquer lors de la réparation sans parler des coûts d'approvisionnement des munitions. Et quand on s’aperçoit que les seuls moyens de gagner efficacement de l'argent sont de jouer d'interminables parties de dés ou de tenter d'exploiter un système de marchandage offre / demande totalement bancal et illisible, on se met à éviter ces batailles navales ne serait-ce que par souci d'économie. Surtout qu'en plus, les gains monétaires et d'expérience desdites batailles sont risibles...
Pieds nickelés
Ça c'était pour la partie maritime, voyons maintenant comment ça se passe à terre. Et bien plutôt mal, on ressent très vite que quelque chose coince et ce n'est pas juste à cause des NPC et de l'animation dans sa globalité. On repère assez vite les deux plus gros ennemis du jeu : les marches de plus de 10 centimètres et les chutes en dépassant au moins 50. Notre brave capitaine crochet sera souvent bloqué à cause des premières causant des collisions foireuses avec le décor tandis que les secondes occasionneront de sévères pertes de points de vie.
Pendant ces phases terrestres, notre anti-héros fera tout ce qu'on attend d'un héros de jeu vidéo, comme réaliser des quêtes (dont l'expérience deviendra vite la seule motivation tellement elles sont faibles et peu intéressantes), améliorer son équipement, subir une interface incroyablement mal conçue en particulier le journal des quêtes, parler à des marchands et profiter d'une sommaire fiche de personnage. Chaque level-up est synonyme de deux points de compétence à investir, celles de Raven ou celles de son navire, dont on pourra également augmenter les performances en allant taper la causette au charpentier du coin. Au passage on pestera très vite sur le level-design des villes et le choix des emplacements des NPC marchands, toujours bien situés aux antipodes l'un de l'autre et occasionnant d'incessants allers-retours, d'autant que la démarche de notre héros est sacrément lourde. Raven aura la possibilité quel que soit le lieu de dégainer son sabre et de trucider tout ce qui bouge, seuls les NPC de l'histoire et ceux marchands sont exemptés de mort. Les citadins se contenteront de hausser les épaules ou de fuir en cas de massacre, les autres pirates réagiront en sortant aussi leurs sabres et en s'alignant bien à la queue-leu-leu pour se faire embrocher. A noter que dans Raven's Cry les pirates sont des gens polis, ils n'attaquent pas en traître et il suffit de ranger son arme pour qu'ils fassent de même. Les soldats de factions eux sont un peu plus coriaces, il faudra s'éloigner d'au moins 15-20 mètres pour que eux aussi oublient les exactions de l'homme à la tricorne (à noter également que le système de réputation se limite à l'univers maritime....). Cooooohééreeence et immmeeersiioooooon.
Ce sont pourtant ces derniers, additionnés aux ennemis de la storyline, qui permettront de profiter un minimum du système de combat. Notre loustic des mers peut jouer sur un système de coup fort / coup faible pour créer des enchainements, pourra étoffer son panel d'attaque au fil des level-up et il dispose également de la possibilité de parer, d'effectuer des contre-attaques et également d'avoir recours à une super-attaque quand sa jauge de rage est pleine. Le b.a.-ba du système de combat à la troisième personne me dira t-on, mais là encore ça explose en cours de vol et ce dès les premiers affrontements qui laissent apparaitre une mollesse généralisée et un manque d'impact certain. Une nouvelle fois on incriminera la qualité d'animation, pataude et imprécise et qui met à la trappe toute notion de subtilité à cause de l'impossibilité d'avoir une bonne lecture sur le déroulement d'un combat. Résultat, on se retrouve à bourrer le mou comme un forçat et ça passe dans quasiment tous les cas et ce principalement grâce à une IA aux abonnés absente. Raven disposera également de couteaux de lancer et d'un bon vieux pistolet d'époque, deux choses qui se mettront d'elles-mêmes à la marge car au final peu efficaces et trop contraignantes. En particulier le pistolet qui met une plombe à recharger, qui rate une fois sur deux si le réticule de précision n'est pas à son maximum et qui en plus peut s'enrayer ou être victime de l'humidité. Sans parler du fait que les munitions s'achètent en quantité très limitée et à un prix excessif...
Bref vous l'aurez compris, c'est la cata.
A Raven to the Past
Et c'est aussi la cata' d'un point de vue technique. Le jeu peine à maintenir un frame rate constant, la caméra bien capricieuse jouera des tours plus d'une fois et surtout le jeu est bourré, mais bourré à craquer de bugs et de glitches qui vont du simple remplacement d'apparences de PNJ (
le coup de la femme qui pisse est rentré dans légende) au blocage intégral de la quête principale. Seuls conseils du studio dans ce cas : patienter pour un patch ou recommencer une partie "
en espérant ne pas rencontrer de nouveau le bug". Et je dis ça le plus sérieusement possible car j'ai moi même été bloqué dans la quête principale. La réalisation est elle méchamment à la traîne et accuse l'âge du moteur maison de
Reality Pump, et il faudra compter sur une direction artistique pas désagréable (et une certaine clémence du joueur à ne pas dévisager les éléments) pour sauver les meubles. En revanche si il y a bien un point qui s'en sort honorablement c'est la bande-son du titre, de très bonne facture mais malheureusement bien trop discrète et masquée par d'innombrables effets de fond et les jérémiades incessantes des NPC. Les chansons pirates disséminées à travers le jeu font leur petit effet et les pistes utilisant les instruments typiques de cet ère donnent un certain cachet.
Il faut compter entre 15 et 20 heures pour boucler le jeu. Il n'y a pas de New Game+ (qui de toute manière n'aurait pas grand intérêt), mais il est possible, après avoir fini l'histoire principale, de naviguer tranquillement dans les Caraïbes pour continuer ses œuvres et profiter du vaisseau ultime du jeu.
Raven's Cry ne fera donc pas mentir l'histoire et rejoint sans trop de peine la grande famille des catastrophes industrielles, le genre de catastrophe où même l'amour le plus aveugle et passionné pour une thématique (ici, la piraterie) ne pourra pas laisser passer un tel enchaînement de ratés et d'idées, qui même si elles sont bien trouvées restent terriblement mal appliquées. Pour une fois qu'on pouvait sortir du cadre de la fantasy ou de la SF... dommage. Bref
Raven's Cry est un jeu à éviter et à oublier, et si une virée flibustière vous prend un jour, il y a largement mieux à côté.
Pour conclure je vous laisse avec cette recherche youtube, mêlant les termes "Raven's Cry" et "broken", qui imagera sans trop de souci tout ce qui a été évoqué dans cette review.
17/03/2015
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- L'univers des Caraïbes
- Les batailles navales
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- Un récit et des personnages caricaturaux à souhaits
- Le doublage dans sa globalité
- Un système de combat insipide
- La technique à rue
- Les bugs, les bugs, les bugs
- Les animations nulles à en pleurer
- L'aspect gestion laborieux quand il n'est pas contraignant
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GRAPHICS 2/5
SOUND/MUSIC 3/5
STORY 0.5/5
LENGTH 3/5
GAMEPLAY 0.5/5
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