Débutée en 1998 sur Playstation, jamais localisée et même plutôt confidentielle dans son propre pays, la série des Tokyo Majin Gakuen est ce qu'on peut appeler une série réservée aux initiés. Fruit du travail d'un certain Shuuhou Imai, cette série prend place dans le Japon moderne, chaque épisode mêlant visual novel et RPG, en invitant à suivre une troupe d'étudiants devant concilier école et chasse aux youkai. Une base pas originale pour un sou me direz-vous, la particularité de la série venant plutôt de la multiplicité de routes scénaristiques, de son système d'affinité et surtout de son système de conversation, le joueur pouvant influer sur leur déroulement en choisissant lui-même les sentiments et actions qu'il veut véhiculer. Un concept que Imai ne va pas lâcher au gré des productions sous sa gouverne et Tokyo Twilight Ghost Hunters, héritier spirituel des Tokyo Majin Gakuen, n'y fait pas exception. Donc quand Arc Systems Works annonce la localisation du titre, autant dire que ça titille la curiosité vu que c'est (indirectement) la première fois que l'occident va pouvoir faire connaissance avec cette série.
I see dead people...
Y a-t-il une vie après la mort ? C'est une question à laquelle le héros de Tokyo Twilight Ghost Hunters - récent transfuge au lycée Kurenai - a la réponse malgré lui car il possède la capacité de voir les fantômes. Un don qu'il partage avec Sayuri Mifune, membre de sa classe, qui va leur réserver bien des surprises en l'espace d'une seule journée : ils vont ainsi rencontrer le spectre d'une jeune fille habillée d'une robe blanche liée au mystère entourant la fermeture du troisième étage de l'école, un spectre vêtu de rouge qui aimerait bien les dépecer, et finalement Masamune Shiga, également membre de leur classe et qui est la tête pensante d'un groupe appelé Gate Keepers. Officiellement un organisme de publication de magazines occultes et officieusement un groupe chassant les évènements paranormaux moyennant finance, Gate Keepers va alors recruter les deux adolescents pour augmenter sa force de frappe. Autant dire que le quotidien de Sayuri et de notre héros va quelque peu changer.
Divisée en treize chapitres amenés façon dessin animé avec un générique d'ouverture et de fin et chacun un cas différent qui sera traité, Tokyo Twilight Ghost Hunters va mixer d'une manière plutôt étonnante thématiques ésotériques et explications scientifiques, ramenant toujours l'irrationnel au rationnel à l'aide de théories et de déductions expliquant le comportement et les motivations des spectres que Gate Keepers doit exorciser. Avec en prime un brin de philo' sur les notions de vie et de mort histoire de se donner un petit air profond. Dans l'ensemble, l'exercice est plutôt réussi et intéressant à suivre, même si la volonté du récit de rester terre à terre fait que l'ensemble manque vraiment du petit brin de folie qui pourrait véritablement marquer le joueur. Il faudra attendre le dernier quart du jeu, faisant bien plus pencher la balance vers le fantastique, pour obtenir quelque chose d'un peu plus prenant et ce au prix d'un arc scénaristique vite expédié et plutôt confus. Très dirigiste, Tokyo Twilight Ghost Hunters va également imposer au joueur un chemin qui ira du point A au point B sans routes ou scénarios alternatifs, et laissera souvent l'imagination du joueur prendre le relais du manque de CG pour illustrer les situations. Même la fin se résume à une petite scène avec le personnage dont l'affinité est la plus haute avec le héros est tristounette à voir. Correct, mais peut largement mieux faire.
Le véritable point faible de cette partie narrative va principalement venir du casting, notamment à cause de son nombre : l'équipe des Gate Keepers pourra comporter jusqu'à 16 membres (enfin, plus précisément 17 car deux agissent comme une seule entité) ! Exception faite du duo Sayuri / Masamune, aux côtés du héros tout au long du du jeu, les autres ne pourront compter que sur un développement ponctuel, généralement pour servir l'intrigue du chapitre dans lesquels ils apparaissent, avant de disparaître des écrans radars et de juste servir à l'aspect gameplay du jeu. Et plus un personnage arrivera tard, moins il sera développé. Il y aura bien une phase de discussion d'après-combat à la fin de chaque chapitre, mais elle est plutôt anecdotique et se résume à une question à choix multiples par personnage. Beaucoup de personnages, peu de place pour les développer, un sous-développement qui tire forcément l'ensemble vers le bas. C'est vraiment dommage vu l'éclectisme de la petite troupe, oscillant entre clichés sur pattes (otaku fan d'idols, prêtresse shinto timide, yakuza bien old-school) et d'autres autrement plus originaux (comme les frères Kayama, jumeaux gays fantasques et génies des courses de rue). Restera la satisfaction de surveiller à l'oreille le changement d'intimité des personnages envers le héros... pour peu de piper quelques mots de japonais. Sinon, il faudra se contenter des descriptions hasardeuses dans les fiches des personnages. La localisation du titre est d'ailleurs plutôt douteuse avec pas mal de phrases ou de descriptions sans queue-ni-tête, la mention d'honneur revenant à la carte de Tokyo, car le traducteur n'a même pas réussi à retranscrire correctement les noms de certains des 23 arrondissements spéciaux.
Paranormal Activity
Tokyo Twilight Ghost Hunters est divisé en deux parties distinctes, une partie visual novel et une partie combat, et chaque épisode suivra le même cycle enquête (novel) > exorcisme (combat) > conclusion (novel). Comme dit un peu plus haut, l'aspect novel est très dirigiste et ira à sa conclusion, unique, quoiqu'il arrive. Le joueur aura bien quelques décisions à prendre durant l'intrigue, mais il pourra surtout influer sur le déroulement des dialogues grâce au système Sensory Input, symbolisé par deux roues : une représentant des sentiments - curiosité, amitié, amour, colère, tristesse - et une autre les cinq sens. La combinaison d'un sentiment et d'un sens résultera en une action. Par exemple, combiner amitié+toucher résultera en un geste amical envers l'interlocuteur, combiner amour à un autre sens donnera des tendances lubriques à notre avatar. En théorie le système est plutôt original, en pratique c'est un peu plus délicat et ce pour plusieurs raisons.
Pour commencer, il n'y a aucune initiation ou tutoriel pour expliquer le fonctionnement de cette mécanique pas forcément très claire à assimiler ; à chaque apparition des roues on se retrouve donc avec 25 choix possibles et 5 secondes pour se décider sous peine de voir l'histoire continuer sans avoir eu son mot à dire (on peut considérer ça comme le 26ème choix), et le choix qui résulte d'une situation peut parfois produire des résultats inverses de ceux escomptés. Deuxièmement, ce système de choix a une influence sur l'affinité entre les personnages et le déclenchement de certaines scènes et recrutements, et parfois une seule mauvaise réponse suffit pour passer à côté. Mieux encore, l'accès à certains évènements - notamment les Sixth Senses Events étoffant le background de l'affaire en cours - demanderont une saisie précise de choix et de combinaisons façon réponse B à la 3ème question puis combinaison colère+vue au 7ème choix pour y accéder. Par exemple dans le chapitre 2, suite à la découverte d'un résidu fantomatique, il faut combiner goût+curiosité pour obtenir la scène supplémentaire... premier réflexe en croisant un élément suspect, se le mettre directement à la bouche. Logique, n'est-ce pas ? A moins de profiter d'une sacrée chance, l'utilisation d'une FAQ est indispensable pour accéder à une majorité de ces passages car le jeu ne livre ni pistes, ni indications. Pourquoi ? Pourquoi avoir pondu un système de progression aussi alambiqué pour une histoire qui de toute manière va aller dans un seul sens ? C'est réellement dommage d'avoir handicapé l'aspect novel de la sorte, surtout que le système de roues est vraiment original et que les actions et réactions que peut avoir le héros peuvent parfois être bien décalées. Faites une partie en utilisant uniquement la combinaison amour+toucher ou amour+goût et appréciez les réactions.
He slimed me !
Pour la partie gameplay, direction les locaux de Gate Keepers, un joli foutoir qui servira de base d'opération à nos loustics et dont on ne sortira que pour effectuer des missions ou faire avancer le scénario. On y trouvera l'accès à un magasin (disposant d'un très lucratif jeu de loterie !), un atelier de fabrication d'objets, un casier qui servira d'interface pour équiper les membres de l'équipe et un livre qui permettra de revoir les scènes importantes de l'histoire. En un peu plus important on aura le 'planning d'entrainement', qui permettra au héros d'améliorer ses talents - planification, rédaction, marchandage par exemple - moyennant l'aide de ses camarades et l'utilisation des Technical Points gagnés pendant les combats ; chaque membre de Gate Keepers possède son ou ses domaines d'expertise, et il faudra donc choisir avec qui passer son temps pour augmenter l'efficacité de tel ou tel talent. L’intérêt est double : plus un talent sera développé et plus il offrira un avantage au joueur (par exemple en réduisant les prix du magasin ou en augmentant l'expérience reçue à la fin des combats), et chaque session d’entraînement se conclura par le gain d'un objet. Le tour du propriétaire se conclut avec l'ordinateur, qui sert de moyen d'accès aux missions secondaires du jeu ; générées aléatoirement et de manière infinie, elles permettent de grinder comme un cochon car c'est le joueur qui décide d'avancer ou non l'histoire principale.
Une fois la mission sélectionnée, on ne tombe pas directement sur le champ de bataille, mais sur l'écran de préparation du champ de bataille. Autre originalité du titre, nos chasseurs de fantômes peuvent investir la zone de combat avant que celui-ci ne commence et disposer des pièges visant à restreindre et manipuler les mouvements des fantômes ; quelque chose qui coûte des sous mais qui est très utile. Et une fois la chose faite, le héros et un maximum de trois compagnons pourront se lancer à la chasse aux spectres. La mission consistera toujours à abattre un spectre majeur, qui pourra parfois être accompagné de fantômes mineurs. Premier constat sur le champ de bataille : c'est cheap, très cheap. Utilisant le prétexte d'une tablette tactile pour illustrer la scène d'action, Toybox nous offre un plan de bâtiment comme seul arène et des pions colorés pour représenter pièges, alliés et adversaires. Cheap et également sans diversité car le jeu réutilisera à outrance une quinzaine de cartes. Il faudra compter sur les duels, laissant apparaître l'image du fantôme, pour apporter un peu de couleur à l'ensemble. Mais plus que la forme c'est le fond qui est surtout problématique, le développeur ayant eu une idée de génie : pourquoi faire un tactical au tour par tour classique quand on peut faire jouer les deux camps en même temps ?
Car oui, les deux camps jouent en même temps. Il faudra saisir pendant sa phase de jeu la chaine d'action que va suivre chaque personnage, et ce a l'aide d'un système pas très ergonomique et pas très bien pensé ; le but du jeu sera d'anticiper les déplacements des spectres afin de les tabasser et de les renvoyer dans l'autre monde. Totalement aléatoire, le comportement des fantômes va transformer les affrontements en spectacle saugrenu où tout le monde bouge dans tous les sens et ce sans aucune assurance de toucher sa cible. Il y a bien les quelques indications données par Shiga ou les bruits que peut percevoir le héros qui peuvent aider, mais dans leur globalité les affrontements vont se résumer à placer un maximum de pièges et péter des objets - car oui on peut détruire des objets du lieu où l'on est, ce qui viendra en moins dans la récompense ! - jusqu'à pouvoir péter la tronche au spectre et si possible très vite, les affrontements ayant une durée limitée. L'apport des alliés restera minime à cause de cet aspect aléatoire, juste bons à servir d’appâts et à dénicher les ectoplasmes car d'une part ils disposent de statistiques faiblardes et d'autre part car le côté Benny Hill des joutes fait que toute tentative d'utilisation des capacités va la plupart du temps se conclure par un échec.
Au final, la véritable arme du joueur sera son avatar, qui peut équiper tous les types d'équipement du jeu, dont on peut personnaliser les stats et qui peut absorber les capacités de ses alliés. L'équilibre du jeu laissant franchement à désirer, il suffit de lui filer 2-3 capacités passives et une majorité de points en force/défense pour en faire un boucher capable de torcher en un instant tout type de menace. On pourra aussi compter sur des talismans agissant comme multiplicateurs de statistiques pour frapper encore plus fort et plus vite. Plus agaçant que réellement difficile, ce système de combat n'est vraiment pas une chose que l'on retiendra positivement du titre.
Spectral Color
L'esthétique du titre va elle aussi jouer sur une étrange dualité, un peu comme les autres aspects du jeu. Le coup de crayon de
Chinatsu Kurahana est magnifique, et la technique d'animation appelée GHOST (pour Graphic Horizontal Object STreaming), qui consiste à donner vie à des sprites 2D, sublime un chara-design qui régale les yeux. Quelque chose qui vient en contraste des nombreux éléments de background, simples photos du monde réel sur lesquelles on a passé un coup de flou sous photoshop. Et encore plus étrange est le design des démons, exubérants de couleurs et aux tronches très enfantines... Bref, un sacré contraste. Pour ce qui est de la bande-son,
Toybox a fait appel
au groupe The Key Project et
quelques grands noms pour les openings / endings, tous s'accordant à donner une ambiance pop-rock pas désagréable et plutôt bien fournie au titre ; on peut même choisir quelle piste sera jouée pendant les affrontement.
Comptez 20 à 25 heures pour boucler le jeu une première fois, sachant qu'il dispose d'un
New Game+ qui permet de conserver tout ce qui touche à l'argent, aux objets et aux statistiques. Sachant que
Tokyo Twilight Ghost Hunters peut se boucler en 3-4 heures grâce au
fast-forward des dialogues, c'est une occasion à saisir pour ceux désirant voir le jeu "en entier". A noter également l'existence d'un jeu de plateau, Supernatural, totalement optionnel mais qui est l'occasion de se détendre et de glaner quelques TP et points d'expérience entre deux combats. Du moins, si jouer avec l'IA ne vous dérange pas.
Original, Tokyo Twilight Ghost Hunters l'est. Mais l'originalité ne fait malheureusement pas l'efficacité. Cumulant sans discontinuer tares et paradoxes dans sa formule, le titre oublie le plaisir du joueur dans son étalage d'idées et d'expérimentations. On finira par se raccrocher à un récit pas si mauvais pour continuer à avancer - même si les choix qu'il offre sont vraiment faméliques - et à une ambiance contemporaine beaucoup moins clichée qu'à l'accoutumée.
En tant que pur Visual Novel, Tokyo Twilight Ghost Hunters aurait pu être un titre correct, sans néanmoins réussir à se hisser au niveau des ténors du genre. En tant que mélange de RPG et de VN, il est plutôt laborieux à arpenter.
Une prochaine fois peut-être, Toybox.
28/04/2015
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- L'originalité et l'ambiance globale du soft
- Le Sensory Input
- Le récit et ses thématiques, pas si mauvais que ça
- Le trait de Chinatsu Kurahana
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- L'horripilant système de combat
- FAQ obligatoire pour les events et la vraie fin
- Casting trop peu développé
- L'aspect globalement cheap du titre
- Des mécaniques peu intuitives et non expliquées
- La traduction à moitié torchée
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GRAPHICS 2.5/5
SOUND/MUSIC 3.5/5
STORY 3.5/5
LENGTH 3/5
GAMEPLAY 2.5/5
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