Malgré sa très courte existence (2004-2007) et ses quelques jeux, le studio
Clover aura réussi en quelques années à se faire une place confortable dans la mémoire des joueurs : on pourrait citer les très délirants mais néanmoins réussis
God Hand ou une partie de la série
Viewtiful Joe. Mais c'est surtout d'
Okami dont on se souviendra : lié à jamais au studio au trèfle, ce jeu d'aventure est né de l'esprit aussi créatif que tordu de
Hideki Kamiya. Puisant dans les arts et le folkore japonais pour construire son univers et sa direction artistique, ce soft de passionnés incarnant à lui seul le thème du jeu vidéo en tant qu'art aura été bien malmené au fil des ans : score commercial très moyen, portage
Wii non sans casse, une suite en demi-teinte sur DS (
Okamiden), on voyait le loup blanc retourner à la niche la tête baissée. Vient alors le moment où
Capcom se décide à surfer sur la vague des remakes Playstation 2, met les petits plats dans les grands et siffle le canidé une nouvelle fois, pour lui donner une seconde jeunesse : c'est l'heure de rempiler dans
Okami Zekkeiban (littéralement : la version magnifique) /
Okami HD !
Laissez laissez, entrer le soleil
Il y a 100 ans de cela sévissait un démon serpent à 8 têtes du nom d'Orochi, démon qui sortait de sa torpeur chaque année pour réclamer une jeune fille en sacrifice, sous peine de quoi le pays du Nippon subirait son courroux. Un joug qui durera bien trop longtemps jusqu'à ce que deux héros se dressent face à lui : Izanagi, guerrier humain à la volonté d'acier et Shiranui, un loup au pelage blanc comme neige, incarnation de la déesse du soleil. Un véritable combat à mort s'engagea alors, au terme duquel Shiranui fut mortellement blessé, et Orochi vaincu et scellé grâce à l'épée d'Izanagi. Le guerrier ramena alors la bête mourante dans le petit village de Kamiki, victime désormais délivrée et qui érigera une statue honorant la mémoire de ce héros à quatre pattes. Une ère de paix commença alors, une ère qui durera donc 100 années avant d'être brisée, au moment ou l'épée qui scellait Orochi fut mystérieusement arrachée de son socle. Le démon-serpent est alors libéré, et noie alors toute la contrée sous une brume délétère qui étouffe toute forme de vie. Amaterasu, la déesse du soleil, décide de s'incarner une nouvelle fois dans le monde des humains pour répondre à ce mal, une nouvelle fois dans la peau d'un loup blanc ; hélas pour elle, ces 100 années n'auront pas été suffisantes pour lui permettre de panser totalement ses plaies et pire encore, la croyance en les dieux n'est pas non plus au beau fixe. Affaiblie, c'est accompagnée d'Issun l'artiste errant, son minuscule allié appartenant au peuple des
Koropokkuru, qu'elle se lance alors à la recherche des treize divinités du Nippon afin de restaurer ses pouvoirs et de définitivement bannir le mal du pays.
Classique dans sa forme de combat contre le bien et le mal,
Okami tire très vite son épingle du jeu avec son univers bien senti et un casting haut en couleurs. Le jeu s'inspire d'un très grand nombre de légendes et croyances du folklore japonais et les tourne à sa sauce pour construire son propre monde : toute situation, rencontre ou affrontement est quasiment toujours l'occasion de renvoyer à une légende ou un bout d'histoire (je vous renvoie
sur l'excellent blog Expérience-Japon si cela vous intéresse, gare aux spoils !). Le jeu va même un peu plus loin en brassant des thématiques chères au pays du Soleil Levant, la culture shinto en tête et plus particulièrement le respect vis à vis de la nature, prépondérant dans l'histoire : ainsi l'évolution d'Amaterasu, que ce soit ses capacités ou sa progression dans l'histoire, sera toujours conditionnée par sa capacité à redorer le blason de mère Nature, que ce soit en purifiant les lacs ou en faisant fleurir les arbres (
Clover a également laissé sa trace dans le jeu avec de nombreux trèfles à dénicher !), ou en allant tanner les démons pervertissant les lieux sacrés. Et au delà de son héritage culturel,
Okami narre également une histoire et un background riches en rebondissements et en émotions, distillant avec une alchimie parfaite humour, sérieux et drame sans jamais s’essouffler ou tomber dans la surenchère, grâce à une narration et une mise en scène maitrisés de bout en bout ; le duo formé par Issun et Amaterasu brille d'ailleurs par son insolence et ses mimiques qui font mouches (les scènes de réunion avec les divinités du pinceau
sont mémorables), rendant ce duo non-humain bien plus attachant, vivant et expressif que le serait tout une armée de héros gominés sur deux jambes. Le tout étant accompagné avec brio par une bande-son divine qui retranscrit tous les sentiments véhiculés par les êtres ou les situations rencontrées pour former un ensemble très cohérent et enchanteur, happant le joueur avant même qu'il puisse s'en apercevoir jusque dans les dernières minutes du jeu.
Un loup parmis les hommes....
Amaterasu est seule contre tous, ses seules armes étant ses crocs acérés, les trois armes célestes (au choix entre miroir, rosaire et épée... référence, encore !) et surtout le Pinceau Céleste. C'est véritablement l'outil principal de notre déesse à quatre pattes, le catalyseur de ses pouvoirs. Une pression sur R1 fige l'écran et transforme l'image en une feuille de calligraphie, et offre au joueur le contrôle d'un pinceau. Il n'est pas vraiment question à ce moment de laisser parler son âme d’artiste, mais plutôt d'utiliser cette feuille pour dessiner les symboles canalisant les pouvoirs que l'on souhaite utiliser ; une idée aussi novatrice que terriblement efficace, encore aujourd'hui. Au début Amaterasu pourra à peine invoquer le soleil (et donc le jour) et réparer des objets et des constructions, mais très vite son éventail de capacités augmentera : redonner vie aux végétaux, trancher tout ce qui est à l'écran, contrôler à sa guise les éléments, ralentir le temps ne sont que quelques-uns des pouvoirs auxquels elle pourra avoir recours au fil de ses aventures, en marge d'une sensation de puissance grandissante. Tout le gameplay du jeu est pensé autour de l'utilisation de ce pinceau, aussi bien en combat qu'en exploration, et le coup de main vient intuitivement ; à noter que dans cette mouture PS3, l'utilisation du motion gaming est toujours possible avec le Playstation Move. Avis aux intéressés.
Amaterasu est donc lâché dans le pays du Nippon, retranscription fantaisiste du Japon qu'elle pourra visiter de bout en bout, occasion d'admirer sans cesse des paysages et des environnements aussi diversifiés qu'ils sont riches et magnifiques. Mais également de visiter pas mal de passages escarpés et de donjons. Et la encore une fois le talent de
Clover opère avec un level design réfléchi, qui se renouvelle constamment et intelligemment tout au long du jeu, on n'aborde jamais une carte ou un donjon de la même manière qu'on a abordé le précédent. Le Pinceau Céleste est bien sûr omniprésent et son utilisation, couplée à un peu de réflexion, sera toujours la clé de la progression de la louve blanche à travers tous les lieux qui composent le pays du Nippon. On avance ainsi le plus naturellement et instinctivement du monde, au gré de l'acquisition des techniques du pinceau et de leurs utilisations, avec tout ce que ça implique de ré-exploration et d'accomplissements de quêtes une fois le bon pouvoir acquis pour résoudre la bonne situation. Certes l'on n'atteint pas le génie d'
une certaine saga fêtant actuellement son 25ème anniversaire, mais le boulot fourni par le studio est quand même exemplaire à ce niveau, et n'a pas grand chose à envier à la concurrence.
...et parmis les démons aussi
L'aventure d'Amaterasu la fera bien sûr faire face à des hordes d'ennemis, dans des combats prenant place dans des arènes circulaires desquelles il n'est pas toujours disponible de s'échapper. La louve divine comptera principalement sur trois types d'armes pour se battre : le miroir parfait équilibre entre puissance et rapidité, le rosaire très rapide mais faible idéal pour le combat à distance et l'épée, très puissante mais très lente. Enfin ça c'est pour l'arme principale, puisqu'elle pourra également en avoir une secondaire à l'effet différent : le miroir en arme secondaire, par exemple, pourra servir de bouclier ou de support de contre-attaque. Elle pourra également compter sur tout un attirail d'objets consommables pour l'assister, des classiques objets de soin à ceux augmentant ses attributs ou la protégeant temporairement du feu ennemi. Et surtout, elle pourra compter sur son agilité : elle court, saute et bondit contre les murs avec grâce et agilité, et répond au poil au moindre petit mouvement de joystick.
Mais là encore le Pinceau Céleste s’avérera être l'outil le plus indispensable face à des ennemis qui très vite multiplieront les ruses et les parades. Il faudra vite déterminer les points faibles et utiliser la technique du pinceau adéquate pour que les ennemis deviennent vulnérables et surtout, tuables : une bourrasque ou un coup d'épée pour amener à terre un ennemi volant, ralentir le temps pour atteindre un ennemi bien trop rapide ou encore faire pleuvoir pour calmer un ennemi enflammé sont quelques unes des possibilités offertes contre l'utilisation d'un peu d'encre. Encore plus vrai contre les boss ou son utilisation sera plus indispensable que jamais. Attention cependant car elle n'est pas illimitée, on a vite fait d'épuiser tous ses pots à force de dégainer le pinceau pour tout et n'importe quoi ; dans ces cas là notre louve divine perdra temporairement ses pouvoirs, et il faudra attendre un petit laps de temps qu'ils se remplissent à nouveau, vu qu'ils régénèrent naturellement. A noter que si l'on achève un ennemi avec une technique du pinceau bien définie (on appelle ça un Floral Finisher, chaque ennemi en ayant un bien propre) on peut récupérer des crocs de démons, échangeables contre des objets très rares. Amaterasu aura également accès au fil du jeu à un grand nombre de techniques de combats qui la rendront encore plus efficace, comme la possibilité d'avoir recours à des parades ou d'augmenter le nombre de coups qu'elle peut porter par combo.
En eux mêmes, les combats ne rapportent pas directement de l'expérience mais des ryos, la monnaie du jeu, qui permettra à Amaterasu d'acheter armes, objets et techniques. Si on veut pouvoir augmenter les paramètres de la louve blanche il faudra glaner des "points de foi" (Praise). On en revient une nouvelle fois au rapport sacré avec la nature, puisque la majorité de ces points, au fil du jeu, s'obtiendront par la capacité de notre déesse à venir en aide à la faune et la flore : purifier les zones malades, redonner vie aux végétaux, donner à manger aux animaux, apporter la lumière dans les zones qui en sont privées ne sont que quelque unes des tâches que Amaterasu devra accomplir en permanence. Elle pourra également en obtenir en accomplissant les quêtes et requêtes des humains croisant sa route, dont les remerciements et la foi renouvelée seront tout autant de points récupérés. C'est le seul moyen qu'aura la déesse de pouvoir augmenter ses attributs (points de vie, pots d'encre, bourse et estomacs mystiques, ces derniers agissant comme des vies supplémentaires) ; plus elle sera capable de restaurer la croyance en les dieux et donc en elle même, plus son pouvoir augmentera.
Au final on a à faire à un ensemble extrêmement bien ficelé, une partition sans fausse note qu'on joue avec plaisir de bout en bout. On pourrait cependant reprocher au jeu une certaine facilité passé un cap, car chaque pas que fera Amaterasu sur le chemin de la restauration de ses pouvoirs sera synonyme d'un écart de puissance qui se creusera avec les démons peuplant le Nippon. Difficile de reprocher à une déesse de ce calibre de noyer ses ennemis sous le feu sacré... plus facile en revanche de pointer du doigt l'argent qui tombe à foison, et le fait qu'on peut littéralement acheter son invincibilité au premier magasin qui passe.
Vous avez dit 10ème art ?
Le dictionnaire des synonymes et des superlatifs ont du êtres saignés à blanc plus d'une fois lorsque l'on évoquait la plastique du jeu en 2006, mais avec ce remake HD c'est un véritable feu de joie qu'on peut faire avec. Le boulot d'
Hexadrive est juste dantesque (voyez
l'article du blog dédié à ça, en résumé ça a donné un truc du genre : résolution à 480p de base - soit 720×480 étiré à 3840x2160, re-travail graphique intégral de près de 13000 textures, lissage, anti-aliasing, et ensuite downgrade en 1080p) et amène l'orgie graphique que constitue le jeu à un autre niveau. Ce style typé estampe japonaise (
les fameux "Ukiyo-e") n'a pas pris une ride et est toujours aussi magnifique, l'ensemble est bien plus net et offre un festival de couleurs sans précédents, la foultitude d'effets provoqués par l'utilisation du pinceau ou plus simplement de la météo sont toujours aussi bluffants. Les trainées de fleurs laissées par une Amaterasu lancée à pleine vitesse ou les animations de régénération des zones sont toujours aussi splendides, et les ennemis toujours aussi grotesques que les décors qu'ils hantent sont somptueux. Et tout ça sans aucun ralentissement ou problème de texture. On pourra cependant trouver dérangeant les petits problèmes de "pop-up" du décor.
Hexadrive a également restauré le filtre donnant un grain pictural à l'image (absent de la version Wii), tout en offrant la possibilité de soit le supprimer soit d'en régler la densité. Le scepticisme était de mise lors des premières annonces de ce remake, mais force est de constater que l’œuvre de
Clover, déjà magnifique à la base, se retrouve transcendée avec ce travail de fourmi qui a été opéré. Chapeau.
Et ce remake est également l'occasion de se recoller une nouvelle fois l'onirique OST du jeu dans les oreilles,
un titan de plus de 200 pistes tenant sur cinq CD (le cinquième contenant lui majoritairement des bruitages et des prototypes musicaux), qui poussera jusqu'au bout l'attachement des développeurs à leur culture. Et ça passera par l'utilisation d'instruments et de sonorités typiques du paysage musical traditionnel de leur pays, des timides petits instruments à cordes aux grosses percussions tonitruantes. A la tête du trio de compositeurs on retrouve
Masami Ueda et son compère
Hiroshi Yamaguchi qui signeront la majorité des pistes et bruitages du jeu, accompagnant magnifiquement Amaterasu dans son épopée : que ce soit des pistes joyeuses ou burlesques (
Boss of the Sparrow,
Issun's Theme), tristes ou laconiques (
People of the Moon Tribe, Reset ~ ("Thank You" Version)), angoissantes
(Orochi's Revival, Cursed Place) ou épiques (
Ryoshima Coast,
Ushiwaka's Dance ~ Playing With Ushiwaka), le duo assurera le plus gros du travail sans jamais fléchir. Le troisième larron composant le trio se nomme
Rei Kondoh, jeune compositeur (à l'époque !) dont
Okami est le premier travail majeur, et qui malgré sa participation minoritaire avec "uniquement" 35 pistes sur les 218 de l'OST délivre nombre des mélodies les plus mémorables du jeu, tout en réussissant à s'accorder parfaitement au travail de ses ainés (
The Sun Rises en tête, l'incroyable morceau accompagnant le tout dernier combat du jeu, ou le très zen
Dragon Palace). En résulte une bande-son à la fois simple et très recherchée, bucolique et explosive, un véritable festival symphonique qui se mêle aux lieux, aux personnages et aux évènements avec une symbiose incroyablement naturelle.
Comptez 25h à 30h en moyenne en ligne droite, 10 à 15 heures de plus si vous vous intéressez aux nombreuses annexes du jeu : entre la recherche des 100 perles, l'accomplissement des nombreux mini-jeux et défis, la recherche de toutes les techniques, le régalage de tous les animaux du Nippon sans parler du remplissage des nombreux compendiums, il y a du boulot. Même les trophées, inclus dans cette monture HD, sont intelligemment intégrés car calqués sur l'histoire et l'accomplissement de toutes les annexes. Pas de débilités du genre "tuer 1000 monstres ou casser 500 pots de chambres", celui qui cherchera à faire le jeu à 100% sera récompensé en fonction. Et le must, c'est que cette version dispose de la traduction française. La version Asia, qui elle est en format boite, dispose aussi de la langue de Molière. Pas de raison de se priver.
Avec ce remake HD, Okami n'a rien perdu de son charme, c'est même l'inverse tant le soft est littéralement transcendé par le travail accompli. C'est toujours aussi beau et contemplatif à regarder, toujours aussi jouissif à jouer, toujours aussi agréable à écouter, une alchimie quasi-parfaite devant laquelle on ne peut rester indifférent, résultat "logique" de l'amour porté par Clover lors de la création de leur plus beau bébé, qu'on ressent encore aujourd'hui. Même après ces six années le séparant de sa première sortie, Okami reste toujours une incontournable réussite tant artistique que vidéo-ludique, siégeant avec fierté au panthéon des jeux d'action-aventure ; mieux encore, l'indécrottable loup blanc aurait bien des leçons à donner aux jeunots d'aujourd'hui ou a des vieux routards parfois bien fatigués. Certes on pourrait hurler au simple remake opportuniste (d'autant qu'il n'y a aucun rajout de contenu), mais à ce prix là et à la vue du boulot abattu, sortir quelques euros pour (re) jouer à l'un des meilleurs jeux ayant jamais existé dans cette catégorie parait au final bien dérisoire.
25/12/2012
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- La qualité du portage
- Direction artistique toujours aussi sublime
- Une OST divine
- Univers et histoire hauts en couleurs
- Gameplay riche et bien pensé
- Un jeu long et très bien rythmé
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- Euh, les dialogues parfois un peu lents à faire défiler ?
- Peut être un peu facile, aussi
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GRAPHICS 5/5
SOUND/MUSIC 5/5
STORY 4.5/5
LENGTH 5/5
GAMEPLAY 5/5
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