Pour beaucoup d'aventuriers des générations Saturn / PlayStation, le nom Grandia évoque le voyage, les contrées inhospitalières parcourues très jeunes, les civilisations fantasques et toujours inattendues. Un périple nostalgique qui se raconte au coin du forum, auquel assistent ceux qui n'ont pas eu la chance d'en être à la grande époque, avides d'avoir un jour leur chance.
Sortons de la métaphore et disons-le tout net, pour un développeur de taille moyenne, faire des jeux par les temps qui courent c'est pas très compliqué. Même quand on ne se compromet pas dans le mobage, il suffit de trouver une série plébiscitée et d'en ressortir une version améliorée sur les supports à la mode, généralement les plateformes de vente PC et la Switch de Nintendo. C'est un investissement minimal et qu'importe le résultat, les joueurs sont nombreux qui dépoussièrent déjà leur plus belle tenue d'Indiana Jones, loin de s'imaginer les embuches qui les attendent.
Grandia, y'en a là dedans
À bien des égards, le premier
Grandia est un JRPG important. Si, à l'image de la série, il n'aura jamais battu de records de vente, la critique aura été unanime à sa sortie originale un beau jour de décembre 1997 sur les Saturn japonaises, et quelques années plus tard en sortie mondiale sur PlayStation. Quand on cherche les raisons, pas besoin de prospecter bien loin : le jeu innove (en partie, le
Lunar du même développeur étant sorti 5 ans plus tôt) en proposant une esthétique très manga particulièrement expressive à base de
sprites et de portraits changeant d'expression selon le contexte. Un choix judicieux qui lui permet de se payer le luxe d'être plus immersif en la matière que le plus connu
Tales of Destiny, sorti quelques jours plus tard.
Grandia est donc magnétique pour les amateurs de culture pop japonaise, mais c'est aussi son système de jeu qui fera date, lui qui propose des combats tour par tour dans l'esprit mais qu'il agrémente d'une énorme part de dynamisme : les combattants et ennemis se déplacent sur un terrain en 3D isométrique et se disputent la primauté des attaques selon leur vitesse et la maitrise de leurs techniques et magies. Mieux, beaucoup de coups permettent de manipuler les actions adverses en annulant le déclenchement de leurs attaques ou en renforçant les combos selon le timing utilisé. Quand on y ajoute la mécanique d’œufs de Mana, des artefacts limités qui débloquent pour l'équipe un sacré panel de magies et coups spéciaux, et en fait la globalité de l'évolution de puissance, on tient là un concept qui fera date et influencera beaucoup des productions suivantes, comme la méta-série
Kiseki.
Ça donne pas envie de prendre son baluchon et partir sur les routes, ça ? |
Mais s'il a marqué les esprits, c'est aussi une histoire de construction scénaristique.
Grandia contient en effet tous les ingrédients d'une aventure avec un grand "A", celle des récits initiatiques à la
Robert Louis Stevenson. Justin est, au début du jeu, un gamin de la ville de Parm, le genre qui chahute avec les locaux en se prenant pour un aventurier chevronné mais rentrera se faire gronder par sa maman, gérante de restaurant, pour avoir transformé la marmite en bouclier légendaire. Une débauche d'imagination et d'envie d’ailleurs dont le petit fera son mantra fondateur, avant de partir réaliser son rêve de l'autre côté de l'océan. Au cours de ses pérégrinations et flanqué de son encore-plus jeune amie Sue et de la plus expérimentée Feena, il visitera le nouveau continent, trouvera une ancienne civilisation disparue, franchira le "bout du monde" et déjouera une machination militaire qui menace la paix. Mais surtout, il gagnera en maturité pour enfin devenir un homme respectable sur qui on peut compter. Un scénario de
coming of age épique qui ravira petits et grands enfants en quête d'aventures marquantes.
La problématique de porter un tel jeu sur un système moderne, c'est de parvenir à améliorer une réalisation carrément datée 22 ans plus tard sans trahir l'esprit du matériau originel. Et bien que cette nouvelle version s'avère complètement jouable (à la différence de la pale émulation proposée jadis sur le PSN et son bug bloquant), et conforme aux sensations de l'époque, on peut dire que c'est bien là que le bat blesse : dans le côté cheapos des efforts consentis par le remaster. Première anicroche, il se base sur la version PSX du jeu, universellement reconnue comme moins aboutie que sur Saturn. Textures moins fines,
sprites déformés et répliqués en miroir lorsqu'un perso montre son autre profil, effets manquants… Pour un nouveau venu la différence est imperceptible, mais pour les spécialistes ça fait désordre. Mais c'est avant tout la méthode qui fait grincer des dents, puisqu'elle repose massivement sur des affinages automatiques au moyen de filtres, lissages,
shaders plus ou moins bien appliqués. Si encore le rendu était irréprochable, mais ça n'est pas le cas. Sachons raison garder, ça n'est pas
si affreux si vous n'êtes pas trop regardants sur le visuel d'un jeu vieux de plus de 20 ans, les décors intérieurs sont en effet un peu plus fins grâce au gain de résolution et les personnages toujours expressifs et reconnaissables. En revanche regardez les graphismes d'un peu trop près et la supercherie s'effondre, avec des
sprites mal découpées sur Photoshop qui jurent un peu.
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Et dès que ça bouge, ça n'est pas mieux. En combat, le décalage entre les sprites lissés et les fonds d'arènes aux textures baveuses fait tourner la tête. Les cinématiques du jeu souffrent d'avoir maintenant un rendu 16:9 pour remplacer le 4:3 initial : ainsi les séquences animées vous rajoutent des bandes de flou de chaque côté pour simuler les décors non visibles sur les précédentes versions, pour un rendu carrément… moche. Sans parler des sous-titres français incorporés dans une typographie peu adaptée. Et lorsque c'est le moteur du jeu qui est mis à contribution, aucun effort n'a été fait pour étendre le champ visible ; c'est par exemple le cas du départ du bateau du port de Parm, où les bordures d'écrans laissent apparaitre des trous béants dans la texture de la mer. Même chose pour l'audio, qui souffre d'oublis, découpages intempestifs des sound effects et autres imprécisions. Pas très sérieux tout ça. |
D'où l'importance de payer au traducteur plus de la moitié de son dû. |
Finissons sur la nouvelle traduction française, de bonne facture mais pas exempte de défauts. Le script reste totalement compréhensible et ne montrera pas les soucis du second épisode (voir plus bas), mais aurait bénéficié d'un peu plus de relecture pour rendre les textes plus naturels. Surtout, on remarquera quelques oublis dans les menus du jeu, entre des bouts de menus d'équipement restés en anglais ou les fenêtres de dialogues des objets clés du début du jeu qui, systématiquement, parlent de la "lettre à Clara". Gageons que si
Gung-Ho veut revoir sa copie pour amortir le bad-buzz, cela ne devrait pas prendre trop d'énergie à corriger.
Ryudo ga gotoku
Avec une aussi bonne presse il était évident qu'une suite à ce monument, fut-elle indirecte, verrait le jour tôt ou tard. Et ce sera chose faite en 2000 avec ce
Grandia II sur Dreamcast qui rebat bien les cartes en *essayant* de proposer une aventure plus mature tout en conservant la base de travail proposée par le premier volet. C'est ainsi que le système de combat reste identique dans les grandes lignes, tandis que les mécaniques d'évolution subissent un lifting vers plus de souplesse avec la possibilité de s'échanger les œufs de Mana et toutes les magies associées entre personnages, ainsi que l'apparition des livres de compétences qui viennent booster leurs diverses caractéristiques. Cela ne se fait pas sans casse et le résultat fort complet manque clairement de personnalisation en retour, les personnages devenant capables d'assurer tous les rôles avec la même constance.
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Côté scénario, si l'on aura toujours pas mal de route à faire au dessus des Granacliffs, sorte d'énorme plaie béante dans le paysage de cet univers – un miroir inversé parfait du Mur du Bout du Monde, en fait – , les péripétie de Ryudo et ses acolytes ne dégagent pas autant d'appel de l'Aventure qu'on aurait pu s'y attendre. En remplacement, un couplet assez acerbe sur les méfaits de la foi crédule avec cette thématique de l'église, accompagné d'une déconstruction du caractère manichéen des mythes classique qui passe notamment par l'excellent personnage de Millenia, sorte de démone collante et espiègle. Plutôt efficace en vérité. Question production on garde l'expérimenté
Noriyuki Iwadare à la composition, qui égayera une aventure toujours aussi dirigiste mais satisfaisante.
Quand on regarde l'évolution de
Grandia II, on remarque très tôt un certain laisser-aller : si les portages PlayStation 2 et Windows deux ans plus tard gardaient intact le plaisir de jeu, les critiques pointèrent déjà à juste titre quelques soucis techniques comme des textures inégales ou des sons en combat bien trop élevés et impossibles à régler. Rebelote à la mi-2015 avec la version
Anniversaire sur Steam, mais vu le prix et le côté daté, le public l'aura eu légitimement mauvaise ; c'est donc tout naturellement que la version
HD Remaster qui nous préoccupe ici s'avère être un décalque parfait de cette "pire version ever". C'est pourquoi nous ne pouvons pas avoir de belle choses.
L'adaptation du script français manque de fluidité...
Un "remaster" indigne que cette version Switch, plus encore que celle du premier épisode : au programme, une traduction française plus qu'approximative, limite
GoogleTrad, compréhensible mais qui laissera de côté une bonne partie de la finesse des dialogues. Préférez la langue de Shakespeare si cela vous est possible. Le doublage anglais d'époque faisait très bien l'affaire mais le remaster l'accompagne des voix japonaises, pour les amateurs. Quant aux visuels et à la technique, c'est la fête du slip. Comme pour le premier volet, on pourrait passer des heures à lister les bugs en pagaille, problèmes sonores, textures manquantes,
lags plus ou moins prononcés selon qu'on joue en mode docké ou portable.
Certains s'en sont chargés d'ailleurs, ce qui m'évitera un
rant de deux heures fort peu intéressant.
... mais en anglais l'humour passe bien et l'adaptation est soignée
On cherche l'amélioration dont auraient dû bénéficier les cut-scenes, qui font vraiment pitié sur un écran moderne. Quant aux effets sonores mal découpés, ils s'ajoutent horriblement aux problèmes de volume déjà évoqués plus haut. Décidément, rien ne va. Autant cette version du premier
Grandia restait dans la lignée de l'expérience de l'époque, autant on aura plus de mal à digérer le ratage du second volet, dont les frasques pourrissent vraiment l'expérience.
Jamais deux sans trois : ta gueule !
Alors oui, d'accord, que ce soit le premier ou second épisode, ce sera pour beaucoup de joueurs la première occasion de toucher à ces deux très bons classiques du JRPG. N'empêche que quitte à ce que ce soit le premier contact, autant qu'il soit bon et marquant non ? En l'état la mention "HD" n'a aucune raison d'exister tant il s'agit d'un portage flemmard mal agrémenté de filtres visuels appliqués automatiquement à la va-vite, de traductions qui oscillent entre le "pas mal" et l’inacceptable.
La seconde partie du sous-titre, "collection", pourrait tout autant flirter avec la publicité mensongère étant donnée l'absence du troisième épisode. Celui-ci n'est jamais sorti en Europe et n'est, à juste titre, pas aussi cher au cœur des fans que les deux précédents, mais son absence sonne comme un acte manqué. Alors
GungHo a bon dos de promettre des patchs (très tardifs), des améliorations, qui seront ensuite transposées sur la version Steam de la collection. Toujours est-il que tout ça manque d'une ligne directrice qui ne serait pas "faire du pognon avec peu d'investissement", d'une grosse campagne de débogage, et de contrôle qualité sérieux. Et quitte à faire un boulot, autant le faire bien dès le début non ?
On aura du mal à dire quoi que ce soit de positif sur le "remaster" en lui même, qui n'a d'HD que le nom et se contente de porter paresseusement des jeux datés de 22 et 19 ans, respectivement, sans y apporter les améliorations attendues et pire, en y introduisant diverses problématiques plus ou moins handicapantes pour le confort de jeu tant qu'elles ne seront pas patchées en bonne et due forme.
Pour autant ne soyons pas mesquins, Grandia et Grandia 2 sont ici parfaitement jouables, et restent deux étapes importantes dans le développement du JRPG à l'internationale. Deux aventures immanquables, denses et funs.
12/12/2019
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- Deux jeux excellents à redécouvrir
- La disponibilité des voix originales, i guess…
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- Portage honteux
- Publicité mensongère
- Aucune vraie amélioration
- Prix prohibitif
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GRAPHICS 2.5/5
SOUND/MUSIC 3/5
STORY 4/5
LENGTH 4/5
GAMEPLAY 3.5/5
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