Voici enfin le dernier volume de Limited Lovers, un shôjo de Keiko Yamada, mangaka encore inconnue sous nos latitudes. Mine de rien celui-ci aura su se faire désirer, pas tellement du fait de l'éditeur 12bis, très au point sur la parution, mais bien parce qu'on avait rarement lu un manga du genre aussi bien rythmé et prenant !

Fluide mais pas seulement, Limited Lovers plaçait le thème du handicap au centre de son intrigue dans les deux premiers tomes. On y suivait une lycéenne victime d'un accident l'ayant rendue paraplégique et ce, dès le début du manga ! Le choix de l'auteur était judicieux : on ne se serait pas facilement attaché à la Karin superficielle d'avant, alors que la perte de contrôle des membres inférieurs a entraîné une prise de conscience chez la jeune fille. Quand elle a réussi à surmonter tout ça, elle s'est heurtée aux préjugés de la société, et sa relation avec Okitta Teppei, le médecin dont elle s'est éprise, était des plus conflictuelles.

Pourtant, jamais l'auteur n'est tombée dans le piège de nous pondre une nième histoire à l'eau de rose comme tant d'autres. Le personnage de Karin évolue rapidement, que ça soit grâce à son entourage ou à sa détermination, elle poursuit un objectif, et ne s'arrête pas en cours de route. Et mieux vaut ne pas tenter de l'en empêcher ! Ce fort caractère, qui trouve une justification dans la condition de l'héroïne, change déjà des codes du genre. De plus, le fameux Teppei est loin d'être très honnête avec lui-même ou avec les autres. Dès lors, on s'imagine mal comment les choses pourraient coller entre les deux personnages...

C'est cependant de façon idyllique que se concluait le tome 2. Alors que Karin craint d'avoir rêvé en ne trouvant pas Teppei à son réveil, elle ne s'attend pas à un plus grand choc encore. Effectivement, Teppei lui avoue qu'il n'a pas dormi de la nuit, et sans s'étendre sur le sujet, il demande à Karin... de l'épouser. 10-20 pages, ce dernier tome est-il donc si court et si bancal ?

Eh bien non, puisqu'au lieu d'accepter avec joie, Karin s'emporte après Teppei. Elle ne comprend pas, en effet, la décision du jeune homme : il serait prêt à remettre en cause son avenir (rappelons qu'il est censé se marier avec la fille de son mentor au CHU...), juste pour elle ? Mais Teppei est résolu, et part donc annoncer la nouvelle à l'intéressée. Pendant ce temps, grâce à une petite sortie avec Shôji, Karin explique aux lecteurs sa réticence à accepter la décision de Teppei...

Alors, bien sûr, après 2 tomes centrés sur le thème du handicap et du dépassement de soi, on pouvait s'y attendre, ce troisième volet est un peu plus romantique. L'intrigue se resserre sur son couple phare, confirmant les impressions laissées par le tome 2 : les acteurs secondaires peuvent finalement se résumer à un moyen pour Teppei et Karin d'exprimer leur personnalité et d'avancer. Néanmoins il serait réducteur de considérer les choses ainsi, étant donné que chaque personnage secondaire a tout de même une personnalité bien à lui, un rêve qu'il poursuit en parallèle de nos héros. Ce n'est pas qu'ils sont inexistants, c'est juste qu'ils choisissent, avec la remise des diplômes approchant, de suivre chacun leur voie.

À ce propos, les notes de l'auteur parsemée dans le manga sont toujours aussi instructives. On l'avait compris dès le premier volume, mais si Keiko Yamada parvient à parler avec autant d'aise d'un sujet pas facile, c'est peut-être en parti du fait de son vécu (et d'une part de documentation bien sûr). Sans être forcément comparable, la situation de l'auteur semble parallèle à celle de ses personnages, et le récit y gagne forcément en crédibilité.

Mais surtout, dans ce troisième volume, l'auteur laisse libre cours ses fantasmes (n'entendez pas par là des scènes érotiques, plutôt rares) ; cela concerne tout simplement... ses personnages ! Elle nous confie ce qu'elle aurait fait d'eux si on lui avait autorisé la parution de plus de tomes. Bon je le répète, il s'agit vraiment de fantasmes et de mon avis certains auraient pu entacher la crédibilité de l'histoire. On se serait alors retrouvé avec un shôjo vraiment sans surprise et mielleux, ce que Limited Lovers n'est pas. Mais bon, ça ne fait pas de mal d'imaginer les choses telles qu'elles auraient pu être ! Et puis les commentaires de cette auteur sont vraiment intéressants à lire, ça mérite bien d'être souligné...

Pour en revenir au déroulement de cet ultime volet, je dirai qu'il ne faut pas se faire avoir par la couverture, qui représente une apparente conclusion de l'histoire correspondant en fait au premier tiers du volume. Les péripéties ne sont donc pas finies même après les fiançailles. Et c'est précisément ce rapprochement des Limited Lovers qui les oblige à s'interroger sur leur relation. Bref, là encore on comprend bien pourquoi le couple aura été si attachant tout du long : c'est pas des réactions très compréhensibles, très bien amenées, que Teppei et Karin ont su nous émouvoir jusque là, et qu'ils le feront jusqu'au dénouement de l'intrigue.


Vous l'avez je pense compris, Limited Lovers est mon coup de coeur shôjo de cette fin d'année 2010, au même titre qu'Evil Heart pour les seinen. L'intrigue est tellement bien rythmée, réfléchie, réaliste, qu'elle ne peut laisser indifférent. Le ton est enjoué sans être mielleux, adulte sans être impitoyable ; chaque problème a une solution dès lors qu'on se donne les moyens de la trouver. Croire en nous-même, nous valoriser alors que certains ont trop tendance à faire le contraire, l'auteur fait passer un très beau message au travers de son oeuvre. Chaudement recommandée.

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