Chargement en cours...
Clair Obscur: Expedition 33
> Fiche complète du jeu
Clair Obscur: Expedition 33
Clair Obscur: Expedition 33
> Articles > Review
Clair Obscur: Expedition 33
Nourri en ses débuts d'influences occidentales, le "J"-RPG amorce son deuxième tour du monde à mesure qu'il est revisité par des équipes extérieures au Japon. On pensera au pionnier Child of Light ou, plus récemment, à l'allemand Chained Echoes, et même au camerounais Aurion et au brésilien Mandinga. Cette fois, c'est la France qui s'y colle et plus particulièrement, le studio Sandfall Interactive basé du côté de Montpellier. Poli et pensé longuement avant de débarquer en pleine lumière, Clair Obscur : Expédition 33 s'avance avec de solides arguments, promettant un gameplay au tour par tour dynamique et un univers original. Quelques mois après son arrivée fracassante, bien enrobée dans un storytelling séduisant, il est temps de se plonger dans les aventures des guerriers de Lumière.
Entre passé et avenir
Il faut reconnaître d'emblée que le retour au premier plan du tour par tour fait vraiment plaisir alors que les grands noms (enfin : Square Enix, en fait) l'ont largement délaissé depuis quelques années. Clair Obscur affiche ouvertement son intention de redorer le blason du genre et de le remettre en pleine lumière : nous avons donc droit ici à tout ce qui fait le RPG au sens le plus classique du terme, depuis des combats proposant un affrontement régi par... des tours, jusqu'à l'invitation permanente faite au joueur de customiser le build de ses personnages. Par ailleurs, cette mise à l'honneur d'un genre prestigieux se double d'un dépoussiérage de la formule. Tandis que le menu adopte l'élégance pop d'un Persona 5, les sorts se doublent de sympathiques QTE et les phases de défense demandent au joueur la dextérité d'un survivant à Sekiro. Mêlant en quelque sorte l'action frénétique à la lente réflexion propre au tour par tour, le système de combat de Clair Obscur est séduisant pour ne pas dire brillant.
Cette entreprise audacieuse se joint à une exploration là aussi courageusement traditionnelle : finie la mini-carte qui attire l'oeil et prive les décors d'attention, voire qui mâche le travail ! C'est le retour des parcours que l'on croyait disparus, où il faut essayer, se retourner, revenir, et intégrer petit-à-petit la structure du niveau pour ne pas se perdre, le tout dans des environnements suffisamment fermés pour ne pas être vides, et suffisamment bien pensés pour ne pas frustrer. Ajoutons à cela le retour de la Carte du Monde, élément esentiel à la sensation d'immensité par le changement d'échelle, et nous obtenons de salutaires rembobinages, à une époque où "mondes semi-ouverts" résonne trop souvent comme une invective.
Toutefois, il serait cavalier de ne voir dans Clair Obscur qu'une série de prises de risques pleines de bravoure. Tout est question de perspective, et le jeu peut aussi se lire comme un prudent bon élève, capable de mettre en évidence des inspirations prestigieuses sans jamais embrasser leur profondeur, et en laissant toujours au joueur moderne, habitué à certains standards, à certaines boucles de gameplay et, plus généralement, à un certain rythme, les portes de sortie nécessaires. C'est un système au tour par tour ? Certes, mais la réalité des parades, de la puissance offensive outrancière des adversaires et de l'efficacité des contres rend les combats finalement plus dynamiques que stratégiques. L'exploration troque les mondes ouverts (si chers à produire) contre des contrées plus travaillées... mais on suit tout de même le sempiternel dos du héros et le cadrage général de l'exploration s'inscrit dans la droite lignée de tous les jeux d'action-aventure de ces quinze dernières années. Ainsi, la prise de risque ne va pas jusqu'à revenir à un format de décor qui demandait un vrai travail de cadrage, hérité des vieux décors en 3D précalculés.
Par ailleurs, le système de gestion, les petits "pictos" que l'on ramasse pour s'équiper gagnent en profusion ce que le système perd en équilibre, de même que la construction d'un build est en réalité tout à fait secondaire (du moins durant la quête principale) derrière la nécessité de maîtriser les parades... ou de passer en mode facile. À tel point que le système de combat, empilant les bonnes idées, parait parfois davantage relever du cadavre exquis que du véritable système dans lequel les éléments peuvent se répondre de façon stratégique. Signalons également la disparition (ou plutôt l'habituelle absence, ces derniers temps) des objets (remplacés par quelques consommables qui se régénèrent automatiquement à chaque drapeau), mais aussi de l'équipement (limité à une arme) et le tableau relativement serré des statistiques. Enfin, si le retour à une exploration plus cadrée doit impérativement être saluée, il n'en reste pas moins que les zones n'offrent guère de variété dans leur type : on avance, on avance, et un seul pauvre village (en dehors de la zone de départ) vient proposer quelques PNJ, tandis que l'essentiel des dialogues est échangé entre quelques personnages autour d'un feu de camp. Enfin, élément important, l'alternance entre exploration, combat, scènes au camp et combats ne mise pas sur la patience du joueur mais plutôt sur la nécessité de ne pas le lasser. On veut bien proposer des petits mémoriaux à la gloire des expéditions passées, et par là un peu de lecture, mais il ne faut tout de même pas que cela dure trop longtemps...
L'allégorie de la Fracture
Il est impossible de ne pas soupirer d'admiration devant les premières heures de Clair Obscur, qui concentrent dans ses premiers moments tout ce qui fait sa grandeur et tout ce qui a toujours ravi les amateurs de RPG à la sauce japonaise. La mise en place de l'univers, singulier, se révèle tout à la fois profonde et efficace : dans une ville aussi éthérée que désolée, rappelant furieusement ce que Paris a de plus beau (ne s'appelle pas "Lumière" qui veut), on découvre rapidement qu'une créature sans doute divine, au loin, peint sur un Monolithe inquiétant un nombre. C'est la Peintresse, et pour une raison inconnue, qu'il vaudrait mieux découvrir le plus rapidement possible, le nombre annonce l'âge de ceux qui vont mourir, ou plutôt être gommés. Et la première séquence s'achève justement sur l'implacable Gommage, faisant disparaitre les proches dans une atmosphère déjà bien campée sur des appuis tragiques et pathétiques. S'en suit le départ de l'Expédition "33", puisque, chaque année, des courageux destinés à mourir lors du cycle suivant s'embarquent pour le Continent afin d'aller défier la Peintresse. Les bases du scénario sont posées par cette situation initiale qui ne laissera personne de marbre. Dès les premières minutes, par les couleurs, par la musique, par le discours, Clair Obscur émeut, ce qui sera d'ailleurs sa principale force, et pique la curiosité - ce sera le ressort central du scénario. On ne saluera jamais assez la tentative perpétuelle de bâtir un récit original mais c'est pourtant sur ce point qu'on fera porter le premier bémol touchant à l'univers du jeu : le scénario est original et pose beaucoup de questions. Il apporte les réponses en temps voulu mais par d'autres questions qui, elles, sont largement laissées en suspens. Qu'est-ce que la Chroma qui, de mot mignon signfiant clairement la "couleur" (c'est du grec) devient brutalement l'énergie fondatrice du monde ? Pourquoi le destin de la famille autour de laquelle tourne le jeu a-t-il eu ces conséquences finalement très arbitraires ? Le scénario prend le temps de développer les détails mais il ne fait au final pas vraiment sens tant il court après sa propre cohérence. Le monde que nous parcourons perd peu-à-peu de son poids et les lourdes questions soulevées de leur importance. On pourra apprécier la réflexion esquissée sur l'art, ou encore l'allégorie du deuil mais Clair Obscur, très intense dans sa narration, est cependant loin d'avoir la profondeur, la richesse et l'engagement des monuments du genre. Si je devais me risquer à une comparaison plus froide que provocatrice, je dirais que l'Expédition a la densité d'un tiers de Final Fantasy XVI.
Ce constant nuancé se retrouve du côté des personnages : le prologue donne envie de s'attacher aux figures principales mais quel caractère se détache vraiment ? Maelle est remarquable puisqu'elle est finalement le seul protagoniste qui embrasse réellement le destin du monde sous toutes ses coutures. Dans un jeu qui repose essentiellement sur l'émotion et le suspense, Maelle reste crédible dans la question de son identité, de sa place dans le monde et de son attachement à ses compagnons. Ses douleurs et ses hésitations sont crédibles. Mais ses compagnons pâlissent au fil de l'intrigue, d'autant plus que le ton uniformément pathétique de l'oeuvre n'invite pas vraiment à développer des caractères complexes, sinon par des dialogues assez artificiels autour d'un feu de camp, qui peinent à masquer qu'il n'y avait pas de place pour eux dans le déroulement de l'intrigue. On gardera à ce titre une tendresse toute particulière pour Esquie, un vrai personnage héroï-comique dans cet océan de tristesse et de souffrance. On saura apprécier Verso, même s'il semble avoir aussi pour rôle de cacher les réponses que nous attendons frénétiquement et que le reste de l'Expédition ne se presse pas d'exiger de lui. De la même façon, les personnages intervenant dans la seconde partie de l'intrigue ont beaucoup de classe et parlent avec gravité mais leurs motivations restent assez brumeuses : on se demande bien comment une histoire de famille a pu dégénérer à ce point. La puissance émotionnelle du jeu peut ainsi être vue comme sa principale limite : le joueur est là pour pleurer le destin affreux des personnages mais ce monde mérite-t-il vraiment qu'on le pleure ? Mention spéciale à la bande originale, qui déploie toute sa poésie et fait vibrer en permanence la corde sensible pour nous rappeler à chaque instant que la situation est grave, collant en cela parfaitement à la tonalité générale du jeu, tout comme les doublages, renversant de justesse.
Pour ceux qui sont viendront après
Comment ne pas s'arrêter sur la réception qu'a connue Clair Obscur à sa sortie ? Comme pour une toile, on mettra ici en garde contre trois regards de biais qui, tel un brouillard de guerre, risqueraient d'embrumer le joueur.
Un marketing efficace a laissé entendre que Clair Obscur était un jeu modeste, sonnant éventuellement comme une revanche sur une industrie préoccupée davantage de produire des monstres plutôt que des grands jeux. Ce serait oublier que le jeu a bénéficié du soutien de grands éditeurs (Kepler, Bandai Namco) et de la puissance publique : la fable du petit studio venu de nulle part peut flatter le joueur en lui donnant l'impression d'échapper à la machine commerciale, voire de commettre un acte militant, mais cela éclipse qu'il s'agit d'un jeu particulièrement spectaculaire, dont la réussite repose aussi beaucoup sur tout ce qu'il partage avec les blockbusters de l'industrie vidéoludique. Clair Obscur entretient de nombreux points communs avec les "AAA" dont on a voulu d'emblée le distinguer. Les gros éditeurs fanfaronnent à propos des millions qu'ils mettent dans un jeu, étalant ainsi leur puissance, mais claironner l'inverse à propos d'Expédition 33 ne serait guère plus judicieux.
Plus loin encore, le jeu serait une révolution pour le jeu vidéo et le RPG. Il est certain qu'il marque un jalon dans l'histoire du jeu vidéo français. Mais aussi dans le RPG à la japonaise tant il a su toucher un public peu habitué au tour par tour... par des concessions faites au jeu d'action et par une importance démesurée accordée aux émotions, ressorts communs. Il apparait surtout que Clair Obscur met en évidence, comme un reflet, la désertion opérée par les grands éditeurs japonais concernant de nouvelles entrées à gros budget dans le domaine. On rappellera à ce titre que le dernier titre original édité et développé par le maître Square Enix sur console de salon; ayant l'ambition d'un blockbuster, The Last Remnant, date de... 2008 !
Et enfin, comme une suite aux deux outrances précédentes, Clair Obscur serait finalement un jeu surcoté dont la réception enthousiaste manifeste essentiellement le nombrilisme français, l'habile communication de son studio de développement (dont le directeur est un ancien élève d'HEC) et l'absence de culture vidéoludique des joueurs (nous, nous en avions quand nous avons inscrit pour toujours Final Fantasy VII dans nos coeur, du haut de nos quinze ans). Le jeu ne serait qu'un pompage honteux de ses précédecesseurs sans en avoir la profondeur. Biais ultime, assurément, exprimant la frustration de ceux qui, n'ayant été à la baguette (justement), oublient le talent, l'abnégation et l'humilité des développeurs s'étant lancés dans une telle aventure.
Qu'est-ce que Clair Obscur ? Un excellent jeu, développé par une équipe pleine d'avenir, qui n'oublie pas les compromis nécessaires pour que le jeu soit accessible au grand public. C'est aussi un scénario original, qui plait par ses allégories plus que par sa cohérence et sa profondeur. C'est une aventure aux leviers narratifs et émotionnels tout à la fois convenus et terriblement efficaces. C'est un jeu sorti à un moment où le porte-étendard historique du genre a renié les fondements du tour par tour. C'est un jeu qui, dans la grande tradition du RPG adorant aller fouiller dans des cultures lointaines, récupère des codes venus du bout du monde pour les retravailler et les décorer de touches singulières. C'est peut-être même le premier J-RPG blockbuster développé hors du Japon. C'est aussi un jeu auquel il sera difficile de ne pas jouer et qu'il sera sans doute encore plus difficile de ne pas apprécier.
05/12/2025
|
- Le résultat d'une patiente digestion de tout ce qui fait la force du J-RPG
- Une vraie volonté de proposer un lore original et intelligent
- Le système de combats : quand même ! quand même !
- Un sens affirmé du grand spectacle
- La justesse de l'émotion
- Une belle occasion pour les nouveaux venus de découvrir et d'aimer le tour par tour
- et le RPG à la japonaise poursuit son tour du monde !
|
- Les parades rendent le reste du système presque décoratif
- Les éléments les plus complexes du RPG systématiquement gommés
- Un scénario original mais qui ne peut prétendre à la densité des légendes du genre
- Une esthétique générale plus convenue qu'elle n'en a l'air
|
TECHNIQUE 4/5
BANDE SON 4.5/5
SCENARIO 4/5
DUREE DE VIE 4/5
GAMEPLAY 4/5
|
Clair Obscur: Expedition 33 > Galeries > Screenshots > PlayStation 5 > 9 disponibles :
Clair Obscur: Expedition 33
Clair Obscur: Expedition 33 > Media > Vidéos > PlayStation 5 > 11 disponibles :
Clair Obscur: Expedition 33
Clair Obscur: Expedition 33
> PlayStation 5
> 1 billet :
Clair Obscur: Expedition 33
Billets sur
|