Cinq ans d'attente, cinq longues années depuis la sortie d'
Oblivion, quatrième épisode de la série phare du RPG occidental
The Elder Scrolls, démarrée il y a maintenant quatorze ans avec
Arena, et qui résiste au temps de façon brillante.
The Elder Scrolls V: Skyrim arrive donc avec la lourde tâche de mettre fin à une longue attente, mais aussi de reconquérir une partie du public perdu en chemin, après un quatrième épisode qui a divisé les joueurs - malgré des qualités évidentes - en tendant vers plus d'accessibilité.
Pari réussi pour
Bethesda ?
Tamriel à nouveau dans la tourmente
Deux cents ans se sont écoulés depuis les sombres événements narrés dans The Elder Scrolls IV: Oblivion. Le continent de Tamriel vivait alors une période trouble sous l'impulsion du prince daedrique Mehrunes Dagon - les daedra étant des créatures divines et malfaisantes dans la série - qui tentait de renverser le pouvoir en place. Des portes d'Oblivion reliant la dimension daedrique d'Oblivion au plan où vivent les créatures mortelles (Mundus) apparaissaient aux quatre coins de la province de Cyrodiil, et permettaient aux daedra de fouler ces terres dont ils voulaient tant prendre possession. Grâce aux efforts conjugués d'un prisonnier appelé à devenir héros (le joueur, en somme) et de Martin Septim, dernier survivant de la longue dynastie éponyme, Mehrunes Dagon fut banni et la menace repoussée. Mais ceci eut un prix : la vie de Martin Septim ; l'Empire se retrouva ainsi pour la première fois depuis bien longtemps sans héritier légitime. La fin de la troisième ère de Tamriel.
Changement de cadre et d'époque : nous voici dans la province nordique de Skyrim (Bordeciel dans la version française), balayée par des vents glacés et continuellement enneigée, que les joueurs ont déjà pu parcourir dans Arena. Jadis centre politique de Tamriel, elle a perdu de sa superbe et de son influence pour ne devenir qu'une simple province au sein de l'Empire. Ce dernier fait la chasse aux résistants nordiques, et c'est lors d'une exécution que prend place l'introduction du jeu. La hache du bourreau semble décider à faire rouler la tête du héros que vous aurez alors façonné de façon plutôt complète, sans que l'on ne sache vraiment pourquoi. C'est alors que l'impensable se produit : un dragon - créature censée avoir disparu depuis bien longtemps de Tamriel - vient pourfendre le ciel et réduire en cendre la ville. Profitant de la confusion et du chaos engendrés, notre héros peut fuir, et peut à loisir se joindre aux rebelles survivants ou aux gardes impériaux.
Quel que soit le camp choisi, il faudra faire la lumière sur le mystérieux retour des dragons, et apprendre à maitriser le langage des dragons pour les combattre. Car à l'instar des anciens empereurs, notre héros est un dragonborn, ces mortels nés avec l’âme et le sang d'un dragon !
Free Will
La fin du prologue nous laisse plein de questions en tête et de choix à effectuer. Mais aussi intéressant et intriguant que peut l'être le pitch de départ,
Skyrim reste un
Elder Scrolls, et le scénario principal ne servira que de ligne directrice au joueur.
Non, ce qui fait la substantifique moelle du jeu, c'est son monde vivant, incroyablement riche avec ses centaines de lieux et PNJ, nous faisant découvrir de nouvelles choses à chaque détour. Chaque dialogue, chaque lieu, chaque livre est l'occasion d'en apprendre un peu plus sur le background de Tamriel, ses conflits et ses luttes d'influence, son évolution depuis la fin de la troisième ère, les nombreux liens avec les anciens opus, mais aussi de découvrir de nouvelles quêtes. Car de quêtes,
Skyrim n'en manque résolument pas. Que ce soit de simples objectifs de récoltes, de découpage de monstres, de grandes aventures à travers la contrée, de successions d'énigmes et de puzzles plus ou moins complexes, ou encore de missions pour le compte de l'une des nombreuses guildes du jeu (que l'on peut rejoindre presque sans limitations), le contenu du jeu est incroyable, et pourrait presque perdre et intimider le joueur peu habitué à pareille richesse et surtout liberté, car débuter une quête n'implique pas de la finir dans la foulée ; le jeu nous laisse seul maitre d'une aventure que l'on vit à notre guise, et servie par une qualité d'écriture remarquable.
"Presque perdre le joueur", car
Skyrim a su se doter d'une ergonomie qui frôle le sans-faute. Chaque quête est répertoriée dans un journal qui nous permet notamment de resituer le contexte et de voir les étapes déjà réalisées, mais surtout d'afficher sur la carte la position de l'étape en cours ! Ainsi, finies les prises tête pour se souvenir d'une quête entamée 10 jours avant, ou les petites notes sur le dos d'un prospectus de pizzeria ou sur le premier rouleau de papier hygiénique qui traine pour se donner l'illusion qu'on ne se perdra pas en chemin (car admettons-le, ce n'est pas très efficace, surtout si une femme mal intentionnée passe faire le ménage entre-temps). La carte du monde est elle aussi particulièrement lisible, et pendant l'exploration un petit bandeau affiche tous les lieux proches. Les dialogues ne sont pas en reste, et donnent maintenant droit à de véritables répliques complètes, et à une souplesse accrue qui permet de partir en plein milieu si on le désire. Certes, le système n'est pas aussi poussé que celui d'un
Mass Effect, mais l'ambition n'est pas la même.
Bref, ce qui fait la force du jeu, c'est avant tout sa richesse, son sens du détail et sa liberté presque totale, qui permet d'aborder les situations sous des angles aussi multiples que variés.
Mais cette liberté a malheureusement un prix : le jeu souffre de bugs et d'incohérences parfois bloquants, plus ou moins nombreux selon le joueur (je n'ai presque pas été touché).
Au-delà du réel
Avec plus de trois longues années de développement, Skyrim portait les promesses d'une nouvelle claque technique, comme avaient su si bien le faire ses glorieux ainés. Mais dès les premières minutes, on comprend que le moteur ne semble être qu'une upgrade de celui vieillissant d'Oblivion : modélisations pas toujours exemplaires, textures parfois bien baveuses et animations manquant un peu de naturel et de souplesse, le jeu ne sera pas la nouvelle référence technique de la génération, loin s'en faut. D'autant que cette version Playstation 3 est très légèrement inférieure à celle Xbox360.
Pourtant, à y regarder de plus près, les améliorations sont nombreuses. Les PNJ ressemblent enfin à quelque chose et sont uniques, la profondeur de champ est nettement plus importante, les décors bien plus détaillés même au loin, les conditions climatiques parfaitement rendues, et les différents effets lumineux saisissants. Il faut surtout souligner une direction artistique parfaite, des environnements bien plus variés et des détails qui fourmillent par milliers.
Se promener le long d'une falaise escarpée sous un clair de lune mélancolique, s'aventurer au sein d'une immense cité souterraine abandonnée depuis des décennies dans une ambiance surréaliste, grimper sous une tempête de neige jusqu'au sommet d'un pic avant d'y effectuer un combat épique contre un dragon, remonter sous un soleil de plomb toute une rivière entourée de forêt à la nage avant d'atteindre une cascade acérée, s'infiltrer dans un temple pour dérober les moindres objets qui traînent dans la poussière, ou encore se perdre dans une banquise balayée par le blizzard afin de trouver une épave échouée sous les eaux glacées, tant de situations qui donne à Skyrim toute sa saveur et son potentiel immersif immense.
En résulte une envie inexplicable et incontrôlable à se laisser aller des heures durant à flâner sans but précis, mais toujours à la merci d'un événement inopiné ou d'une attaque surprise de dragon.
Mais n'allez pas croire pour autant que ce mélange de forts moyenâgeux, de ruines mécaniques, de catacombes primitives et de villes plus ou moins cosmopolites est désordonné. L’ensemble est d'une cohérence simplement parfaite, qui retranscrit à merveille la maîtrise et la justesse de Bethesda.
Deux mains valent mieux qu'une
Skyrim est une synthèse parfaite entre tradition et innovation.
Son gameplay n'y échappe pas, et si l'on retrouve toujours les typiques affrontements temps réels de la série, Skyrim s'affranchit de nombre de conventions pour proposer une expérience totalement nouvelle. Pour commencer, la vue à la troisième personne est de retour, mais est cette fois-ci bien plus convaincante et offre une réelle alternative à l'immuable vue subjective de la série. Plus important, le système de jeu a été totalement refondu. Les traditionnelles classes formatées laissent place à un système plus souple articulé autour de seize compétences que l'on améliore avec l'utilisation. À noter qu'en outre, chaque race confère un bonus qui lui est propre.
À chaque niveau passé (après avoir monté un certain nombre de compétences), on pourra augmenter ses points de vie, de magie ou d'endurance, mais surtout choisir un "perk" dans une compétence, en fonction de l'évolution de celle-ci, ce qui permet d'améliorer sensiblement sa maitrise ou de débloquer de nouvelles aptitudes. Et c'est là toute la force du système, on n'est plus restreint dans la progression de son personnage, on en est totalement maitre. Être un guerrier violent maitrisant parfaitement la création de potions savantes, un mage se déplaçant en armure lourde ou un voleur utilisant aussi bien ses dagues que des incantations, rien n'est impossible. Et surtout pas de se tenir à ce qu'une classe aurait uniquement permis, pour les adeptes du roleplay extrême. Les possibilités en dehors des joutes sanguinaires sont au final très nombreuses, entre la forge d'armes et armures, l'enchantement d'objets, la création de potions, le vol à la tire, le crochetage de serrures (avec un nouveau système excellent), la persuasion par la parole, ou encore la préparation de plats aux petits oignons. Sans oublier la possibilité d'acheter une maison pour stocker les nombreux objets glanés en chemin, mais surtout - c'est nouveau - de se marier avec la femme de ses rêves. Les prétendantes sont nombreuses, vive les jeux vidéos.
Les combats ne sont pas en reste, et introduisent désormais des coups critiques superbement retranscrits à l'écran, et la gestion des deux mains de façon indépendante. Libre à vous d'associer une arme avec une magie ou un bouclier, d'utiliser un arc pour entamer un combat à distance, ou d'utiliser deux magies : différentes pour se compléter, ou identiques pour en augmenter l'efficacité. Pour être honnête, on peut encore s'en sortir en jouant sans finesse ni technique dans les modes de difficulté normaux, mais les nombreuses variantes donnent vraiment envie de tenter des approches très diverses.
À l'aide des âmes de dragon vaincus, on peut apprendre différents cris qu'il faut découvrir au préalable, ceux-ci complétant le système traditionnel de magies. Le temps de récupération entre deux utilisations est très important, mais leur efficacité est indéniable. Ajoutez à cela des pierres magiques réparties sur tout le territoire qui confèrent chacune différents bonus (non cumulables) ainsi que la possibilité d'emmener avec soi un compagnon, et vous obtenez un système riche, complet et parfaitement calibré.
À noter que le jeu est parfaitement jouable avec le pad PS3, même s'il nécessite un petit temps d'adaptation.
Musicalement vôtre
Comment pourrait-on clore cette apologie de
Skyrim sans évoquer les compositions musicales (une nouvelle fois) sublimes signées (une nouvelle fois)
Jeremy Soule ?
Articulée autour d'un thème principal puissant et exceptionnel, la bande son soutient à merveille le jeu en toute circonstance. Épique à souhait, elle évoque régulièrement les sublimes compositions d'
Howard Shore sur les films
Le Seigneur des Anneaux lorsqu'elle accompagne les explorations. Talon d'Achille de la série, les musiques de combats ne sont pour une fois pas en reste, avec quelques pistes nerveuses qui auront le dont de mettre dans l'ambiance et de stresser lors de bataille particulièrement difficile. Bien sur, la notion de difficulté est ici toute relative, puisqu'elle dépendra grandement de la façon de jouer et du réglage dans les options, que l'on peut changer à tout instant.
Aucune fausse note non plus en ce qui concerne les doublages, très convaincants et surtout systématiques, le jeu étant intégralement doublé. Quand on parle d'immersion...
Libre, prenant, immersif, planant, intelligent, on manque de superlatifs pour décrire Skyrim, qui vient récompenser cinq longues années d'attente qui prennent fin de façon magistrale. Bien sur, victime de sa propre ambition démesurée, le titre souffre encore de quelques jolis bugs et incohérences qui sont le prix à payer pour tant de liberté. Mais en parvenant à allier la richesse et la profondeur de Morrowind, l'accessibilité d'Oblivion et une direction artistique sublime, ce cinquième épisode se positionne comme le titre ultime de la série, et l'un des RPG les plus aboutis jamais sortis.
Ceux qui souhaitent prolonger l'expérience plus longuement, la modifier ou même la repenser au travers de mods devraient s'orienter - si leur machine le permet - vers la mouture PC. A noter également que la version Xbox360 est très légèrement supérieure globalement.
28/01/2012
|
- Liberté presque totale
- Ambiance planante
- Contenu incroyablement riche et profond
- Direction artistique
- Les effets et jeux de lumière
|
- Quelques bugs, c'est inévitable
|
GRAPHICS 4/5
SOUND/MUSIC 4/5
STORY 4/5
LENGTH 5/5
GAMEPLAY 4.5/5
|